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Scène VII.

ASSUÉRUS, ESTHER, MARDOCHÉE, ÉLISE, le chœur.
ASSUÉRUS continue en s’adressant à Mardochée.

Mortel chéri du ciel, mon salut et ma joie,
Aux conseils des méchants ton roi n’est plus en proie ;
Mes yeux sont dessillés, le crime est confondu :
Viens briller près de moi dans le rang qui t’est dû.
Je te donne d’Aman les biens et la puissance :
Possède justement son injuste opulence.
Je romps le joug funeste où les Juifs sont soumis !
Je leur livre le sang de tous leurs ennemis ;
À l’égal des Persans je veux qu’on les honore,
Et que tout tremble au nom du Dieu qu’Esther adore.
Rebâtissez son temple, et peuplez vos cités ;
Que vos heureux enfants dans leurs solennités
Consacrent de ce jour le triomphe et la gloire[1],
Et qu’à jamais mon nom vive dans leur mémoire.


Scène VIII.

ASSUÉRUS, ESTHER, MARDOCHÉE, ASAPH, ÉLISE, le chœur.
ASSUÉRUS.

Que veut Asaph ?

ASAPH.

Que veut Asaph ? Seigneur, le traître est expiré,
Par le peuple en fureur à moitié déchiré.
On traîne, on va donner en spectacle funeste
De son corps tout sanglant le misérable reste.

MARDOCHÉE.

Roi, qu’à jamais le ciel prenne soin de vos jours !
Le péril des Juifs presse, et veut un prompt secours.

ASSUÉRUS.

Oui, je t’entends. Allons, par des ordres contraires,
Révoquer d’un méchant les ordres sanguinaires.

ESTHER.

Ô Dieu, par quelle route inconnue aux mortels
Ta sagesse conduit ses desseins éternels !


Scène IX.

LE CHŒUR.
TOUT LE CHŒUR.

Dieu fait triompher l’innocence :
Chantons, célébrons sa puissance.

UNE ISRAÉLITE.

Il a vu contre nous les méchants s’assembler,
Et notre sang prêt à couler.
Comme l’eau sur la terre ils allaient le répandre :
Du haut du ciel sa voix s’est fait entendre ;
L’homme superbe est renversé,
Ses propres flèches l’ont percé.

UNE AUTRE.

J’ai vu l’impie adoré sur la terre ;
Pareil au cèdre, il cachait dans les cieux
Son front audacieux ;
Il semblait à son gré gouverner le tonnerre,
Foulait aux pieds ses ennemis vaincus :
Je n’ai fait que passer, il n’était déjà plus.

UNE AUTRE.

On peut des plus grands rois surprendre la justice :
Incapables de tromper,
Ils ont peine à s’échapper
Des piéges de l’artifice.
Un cœur noble ne peut soupçonner en autrui
La bassesse et la malice
Qu’il ne sent point en lui.

UNE AUTRE.

Comment s’est calmé l’orage ?

UNE AUTRE.

Quelle main salutaire a chassé le nuage ?

TOUT LE CHŒUR.

L’aimable Esther a fait ce grand ouvrage.

UNE ISRAÉLITE, seule.

De l’amour de son Dieu son cœur s’est embrasé ;
Au péril d’une mort funeste
Son zèle ardent s’est exposé :
Elle a parlé ; le ciel a fait le reste.

DEUX ISRAÉLITES.

Esther a triomphé des filles des Persans :
La nature et le ciel à l’envi l’ont ornée.

L’UNE DES DEUX.

Tout ressent de ses yeux les charmes innocents.
Jamais tant de beauté fut-elle couronnée ?

L’AUTRE.

Les charmes de son cœur sont encor plus puissants.
Jamais tant de vertu fut-elle couronnée ?

TOUTES DEUX ensemble.

Esther a triomphé des filles des Persans :
La nature et le ciel à l’envi l’ont ornée.

UNE SEULE.

Ton Dieu n’est plus irrité :
Réjouis-toi, Sion, et sors de la poussière ;
Quitte les vêtements de ta captivité,
Et reprends ta splendeur première.
Les chemins de Sion à la fin sont ouverts :
Rompez vos fers,
Tribus captives :
Troupes fugitives.

  1. Cette fête, appelée le Phur ou le Sort, est encore aujourd’hui célébrée par les Juifs le quatorzième jour d’adar, dernier mois de l’année hébraïque, et qui répond aux mois de février et de mars. On l’appelait la fête du Sort, parce que le sort fut jeté dans l’urne devant Aman, pour savoir en quel mois et quel jour on devrait exterminer tous les Juifs. (G.)