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TOUT LE CHŒUR.

Où sont les traits que tu lances,
Grand Dieu, dans ton juste courroux ?
N’es-tu plus le Dieu jaloux ?
N’es-tu plus le Dieu des vengeances ?

UNE VOIX seule.

Triste reste de nos rois,
Chère et dernière fleur d’une tige si belle,
Hélas ! sous le couteau d’une mère cruelle
Te verrons-nous tomber une seconde fois ?
Prince aimable, dis-nous si quelque ange, au berceau,
Contre tes assassins prit soin de te défendre ;
Ou si dans la nuit du tombeau
La voix du Dieu vivant a ranimé ta cendre ?

UNE AUTRE.

D’un père et d’un aïeul contre toi révoltés,
Grand Dieu, les attentats lui sont-ils imputés ?
Est-ce que sans retour ta pitié l’abandonne ?

LE CHŒUR.

Où sont, Dieu de Jacob, tes antiques bontés ?
N’es-tu plus le Dieu qui pardonne ?

UNE DES FILLES DU CHŒUR, sans chanter.

Chères sœurs, n’entendez-vous pas
Des cruels Tyriens la trompette qui sonne ?

SALOMITH.

J’entends même les cris des barbares soldats,
Et d’horreur j’en frissonne.
Courons, fuyons ; retirons-nous
À l’ombre salutaire
Du redoutable sanctuaire.




ACTE CINQUIÈME.





Scène première.

ZACHARIE, SALOMITH, le chœur.
SALOMITH.

Cher Zacharie, eh bien ! que nous apprenez-vous ?

ZACHARIE.

Redoublez au Seigneur votre ardente prière :
Peut-être nous touchons à notre heure dernière.
Pour l’horrible combat, ma sœur, l’ordre est donné.

SALOMITH.

Que fait Joas ?

ZACHARIE.

Que fait Joas ? Joas vient d’être couronné :
Le grand prêtre a sur lui répandu l’huile sainte.
Ô ciel ! dans tous les yeux quelle joie était peinte
À l’aspect de ce roi racheté du tombeau !
Ma sœur, on voit encor la marque du couteau ;
On voit paraître aussi sa fidèle nourrice,
Qui, cachée en un coin de ce vaste édifice,
Gardait ce cher dépôt, et n’avait de ses soins
Que les yeux de ma mère et que Dieu pour témoins.
Nos lévites pleuraient de joie et de tendresse,
Et mêlaient leurs sanglots à leurs cris d’allégresse.
Lui, parmi ces transports, affable et sans orgueil,
À l’un tendait la main, flattait l’autre de l’œil,
Jurait de se régler par leurs avis sincères,
Et les appelait tous ses pères ou ses frères.

SALOMITH.

Ce secret au dehors est-il aussi semé ?

ZACHARIE.

Ce secret dans le temple est encor renfermé.
Des enfants de Lévi la troupe partagée
Dans un profond silence aux portes s’est rangée.
Tous doivent à la fois précipiter leurs pas,
Et crier pour signal : Vive le roi Joas !
Mais mon père défend que le roi se hasarde,
Et veut qu’Azarias demeure pour sa garde.
Cependant Athalie, un poignard à la main,
Rit des faibles remparts de nos portes d’airain.
Pour les rompre elle attend les fatales machines,
Et ne respire enfin que sang et que ruines.
Quelques prêtres, ma sœur, ont d’abord proposé
Qu’en un lieu souterrain, par nos pères creusé,
On renfermât du moins notre arche précieuse.
« Ô crainte, a dit mon père, indigne, injurieuse !
« L’arche qui fit tomber tant de superbes tours,
« Et força le Jourdain de rebrousser son cours,
« Des dieux des nations tant de fois triomphante,
« Fuirait donc à l’aspect d’une femme insolente ! »
Ma mère, auprès du roi, dans un trouble mortel,
L’œil tantôt sur ce prince et tantôt vers l’autel,
Muette, et succombant sous le poids des alarmes,
Aux yeux les plus cruels arracherait des larmes.
Le roi de temps en temps la presse entre ses bras,
La flatte… Chères sœurs, suivez toutes mes pas ;
Et s’il faut aujourd’hui que notre roi périsse,
Allons, qu’un même sort avec lui nous unisse.

SALOMITH.

Quelle insolente main frappe à coups redoublés ?
Qui fait courir ainsi ces lévites troublés ?
Quelle précaution leur fait cacher leurs armes ?
Le temple est-il forcé ?

ZACHARIE.

Le temple est-il forcé ? Dissipez vos alarmes :
Dieu nous envoie Abner.


Scène II.

JOAD, JOSABETH, ZACHARIE, SALOMITH, ABNER, ISMAËL, deux lévites, le chœur.
JOAD.

Dieu nous envoie Abner. En croirai-je mes yeux,