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ACTE V, SCÈNE III.
HERMIONE.

1545Ah ! falloit-il en croire une amante insensée[1] ?
Ne devois-tu pas lire au fond de ma pensée ?
Et ne voyois-tu pas, dans mes emportements,
Que mon cœur démentoit ma bouche à tous moments ?
Quand je l’aurois voulu, falloit-il y souscrire ?
1550N’as-tu pas dû cent fois te le faire redire ?
Toi-même avant le coup me venir consulter,
Y revenir encore, ou plutôt m’éviter ?
Que ne me laissois-tu le soin de ma vengeance ?
Qui t’amène en des lieux où l’on fuit ta présence ?
1555Voilà de ton amour le détestable fruit :
Tu m’apportois, cruel, le malheur qui te suit.
C’est toi dont l’ambassade, à tous les deux fatale,


    sentiment qui remplisse l’âme. C’est ainsi que Talma conçoit la situation : un cri s’échappe du cœur d’Oreste ; il dit les premiers mots avec force, et ceux qui suivent avec un abattement toujours croissant : ses bras tombent, son visage devient en un instant plus pâle que la mort, et l’émotion des spectateurs s’augmente à mesure qu’il semble perdre la force de s’exprimer. » (Mme de Staël, de l’Allemagne, 2e partie, chapitre xxvii.) Est-ce à dire qu’à la différence de le Kain, Talma, ne tenant nul compte de la ponctuation, telle que la donnent toutes les anciennes éditions, n’insistait pas sur chaque circonstance de l’ordre ? Il est difficile de le croire. — Dans ce beau dialogue Racine n’a certainement pas songé à imiter Shakspeare. Mais voici une rencontre singulière. Dans la tragédie du Roi Jean, le Roi dit à Hubert, l’assassin d’Arthur :

    · · · · · · I had mighty cause
    To wish him dead, but thou hast none to kill him.


    Hubert lui répond :

    Had none, Mylord ! Why ? did you not provoke me ?

  1. Un nouvel emprunt, plus heureux que le premier, paraît à M. Piccolos, dans les notes déjà citées de sa traduction de Bernardin de Saint-Pierre, avoir été fait ici par Racine au roman d’Héliodore. Il compare ces reproches d’Hermione à Oreste à ceux que Déménète, cette autre Phèdre, fait à Thisbé sa complice, après que toutes deux ont réussi à perdre Cnémon. Nous ne citerons pas le passage d’Héliodore : si l’on y trouve, dans une situation analogue, un sentiment et un mouvement passionné qui rappellent ces vers d’Andromaque, l’expression diffère. On pourrait seulement rapprocher du vers 1560, « il m’aimeroit peut-être…, » cette phrase : « τυχον ἀν μετεπείσθη χρόνῳ πρὸς τὸ ήμερώτερον. » Voyez le livre 1 des Éthiopiques, chapitres xiv et xv.