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Page:Racine - Œuvres, t2, éd. Mesnard, 1865.djvu/47

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PREMIÈRE PRÉFACE.

dans le second[1] de l’Énéide, ont poussée beaucoup plus loin que je n’ai cru le devoir faire.

Encore s’est-il trouvé des gens qui se sont plaints qu’il s’emportât contre Andromaque, et qu’il voulût épouser cette captive[2] à quelque prix que ce fût. J’avoue qu’il n’est pas assez résigné à la volonté de sa maîtresse, et que Céladon a mieux connu que lui le parfait amour. Mais que faire ? Pyrrhus n’avoit pas lu nos romans. Il étoit violent de son naturel. Et tous les héros ne sont pas faits pour être des Céladons.

Quoi qu’il en soit, le public m’a été trop favorable pour m’embarrasser du chagrin particulier de deux ou trois personnes qui voudroient qu’on réformât tous les héros de l’antiquité pour en faire des héros parfaits. Je trouve leur intention fort bonne de vouloir qu’on ne mette sur la scène que des hommes impeccables. Mais je les prie de se souvenir que ce n’est pas à moi de changer les règles du théâtre. Horace nous recommande de dépeindre[3] Achille farouche, inexorable, violent[4], tel qu’il étoit, et tel qu’on dépeint son fils. Et Aristote, bien éloigné de nous demander des héros parfaits, veut au contraire que les personnages tragiques, c’est-à-dire ceux dont le malheur fait la catastrophe de la tragédie, ne soient ni tout à fait bons, ni tout à fait méchants[5]. Il ne veut pas qu’ils soient extrêmement bons, parce que

  1. Tel est le texte de l’édition originale et de celle de 1673. Les éditeurs modernes ont ajouté livre.
  2. Les éditions de 1768, de 1807, de 1808 et celle de M. Aimé-Martin ont : « une captive. »
  3. Peindre, dans l’édition de M. Aimé-Martin.
  4. · · · · · · · · Si forte reponis Achillem,
    Impiger, iracundus, inexorabilis, acer, etc.

    (Horace, Épitre aux Pisons, vers 120 et 121.)
  5. Poétique, chapitre xiii.