Dussé-je après dix ans voir mon palais en cendre,
Je ne balance point, je vole à son secours :
Je défendrai sa vie aux dépens de mes jours.
Mais parmi ces périls où je cours pour vous plaire,
Me refuserez-vous un regard moins sévère ?
Haï de tous les Grecs, pressé de tous côtés,
Me faudra-t-il combattre encor vos cruautés ?
Je vous offre mon bras. Puis-je espérer encore
Que vous accepterez un cœur qui vous adore ?
En combattant pour vous, me sera-t-il permis
De ne vous point compter parmi mes ennemis ?
Seigneur, que faites-vous, et que dira la Grèce ?
Faut-il qu’un si grand cœur montre tant de foiblesse ?
Voulez-vous qu’un dessein si beau, si généreux
Passe pour le transport d’un esprit amoureux[1] ?
Captive, toujours triste, importune à moi-même,
Pouvez-vous souhaiter qu’Andromaque vous aime ?
Quels charmes ont pour vous des yeux infortunés[2]
Qu’à des pleurs éternels vous avez condamnés ?
Non, non, d’un ennemi respecter la misère,
- ↑ La ressemblance de ce discours avec celui que, dans Pertharite, Rodelinde adresse à Grimoald, a été signalée par Voltaire :
Comte, penses-y bien, et pour m’avoir aimée,
N’imprime point de tache à tant de renommée ;
Ne crois que ta vertu : laisse-la seule agir,
De peur qu’un tel effort ne te donne à rougir.
On publieroit de toi que les yeux d’une femme
Plus que ta propre gloire auroient touché ton âme ;
On diroit qu’un héros si grand, si renommé
Ne seroit qu’un tyran s’il n’avoit point aimé.
(Pertharite, acte II, scène v, vers 667-674.) - ↑ Var. Que feriez-vous, hélas ! d’un cœur infortuné
Qu’à des pleurs éternels vous avez condamné(a) ? (1668 et 73)
(a). Racine a voulu ici encore donner satisfaction à Subligny, qui avait dit dans sa Préface : « Les pleurs sont l’office des yeux, comme les soupirs celui du cœur ; mais le cœur ne pleure pas. »