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Page:Racine - Œuvres, t2, éd. Mesnard, 1865.djvu/66

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ANDROMAQUE
ANDROMAQUE.

Et quelle est cette peur dont leur cœur est frappé,
Seigneur ? Quelque Troyen vous est-il échappé ?

PYRRHUS.

Leur haine pour Hector n’est pas encore éteinte.
Ils redoutent son fils.

ANDROMAQUE.

270Ils redoutent son fils.Digne objet de leur crainte[1] !
Un enfant malheureux, qui ne sait pas encor
Que Pyrrhus est son maître, et qu’il est fils d’Hector.

PYRRHUS.

Tel qu’il est, tous les Grecs demandent qu’il périsse.
Le fils d’Agamemnon vient hâter son supplice.

ANDROMAQUE.

275Et vous prononcerez un arrêt si cruel ?
Est-ce mon intérêt qui le rend criminel ?
Hélas ! on ne craint point qu’il venge un jour son père ;
On craint qu’il n’essuyât les larmes de sa mère[2].
Il m’auroit tenu lieu d’un père[3] et d’un époux ;
280Mais il me faut tout perdre, et toujours par vos coups.

PYRRHUS.

Madame, mes refus ont prévenu vos larmes.
Tous les Grecs m’ont déjà menacé de leurs armes ;
Mais dussent-ils encore, en repassant les eaux,
Demander votre fils avec mille vaisseaux ;
285Coûtât-il tout le sang qu’Hélène a fait répandre ;

  1. Hic est, hic est terror, Ulysse,
    Mille carinis · · · · · · · · ·

    (Troyennes de Sénèque, vers 708 et 709.)
  2. La phrase, sans ellipse, serait, comme l’a fait remarquer M. Aignan : « On craint que, s’il vivait, il n’essuyât… » Racine a dit, dans cette même pièce (vers 986 et 987) : « Pensez-vous… qu’il méprisât… » L’ellipse est la même ; mais on est moins arrêté, parce qu’avec l’interrogation le tour nous est rendu plus familier par l’usage.
  3. Éétion, père d’Andromaque, avait été, comme Hector, tué par Achille. Voyez le VIe chant de l’Iliade, vers 414 et suivants.