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ACTE III, SCÈNE IV.

Scène IV.

ANDROMAQUE, HERMIONE, CLÉONE, CÉPHISE.
ANDROMAQUE.

Sortons : que lui dirois-je ?Où fuyez-vous, Madame ?
N’est-ce point à vos yeux un spectacle assez doux
860Que la veuve d’Hector pleurante à vos genoux[1] ?
Je ne viens point ici, par de jalouses larmes,
Vous envier un cœur qui se rend à vos charmes.
Par une main cruelle, hélas ! j’ai vu percer[2]
Le seul où mes regards prétendoient s’adresser.
865Ma flamme par Hector fut jadis allumée ;
Avec lui dans la tombe elle s’est enfermée[3].
Mais il me reste un fils. Vous saurez quelque jour,
Madame, pour un fils jusqu’où va notre amour[4] ;
Mais vous ne saurez pas, du moins je le souhaite,
870En quel trouble mortel son intérêt nous jette,
Lorsque de tant de biens qui pouvoient nous flatter,
C’est le seul qui nous reste, et qu’on veut nous l’ôter.

  1. Racine imite ici Corneille :

    Placide suppliant, Placide à vos genoux
    Vous doit être, Madame, un spectacle assez doux.

    (Théodore, vers 998 et 994.)
  2. Var. Par les mains de son père, hélas ! j’ai vu percer. (1668-76)
  3. C’est un souvenir de ces vers de Virgile :

    Ille meos, primus qui me sibi junxit, amores
    Abstulit : ille habeat secum, servetque sepulcro.

    (Énéide, livre IV, vers 29.)
  4. On a depuis longtemps rapproché ces vers des paroles que, dans Sophocle, Déjanire adresse aux jeunes Trachiniennes :

    · · · · · · · · Ώς δ᾽ ἐγὼ θυμοφθορῶ
    Μήτ᾽ ἐκμάθοις παθοῦσα νῦν τ᾽ ἄπειρος εἶ.

    (Trachiniennes, vers 142 et 143.)