Page:Racine - Œuvres, t4, éd. Mesnard, 1865.djvu/274

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l’édition. Son ami, M. Despréaux, qui n’étoit point pour lors à Paris, arriva heureusement, comme il se disposoit à donner cette édition. Mon père fut aussitôt lui communiquer le tout ; l’autre écouta de grand sang-froid, loua extrêmement le tour et l’esprit de l’ouvrage, et finit en lui disant : Cela est fort joliment écrit, mais vous ne songez pas que vous écrivez contre les plus honnêtes gens du monde. Cette parole fit aussitôt rentrer mon père en lui-même ; et comme c’étoit l’homme du monde le plus éloigné de toute ingratitude, et le plus pénétré des devoirs de l’honnête homme, les obligations qu’il avoit à ces Messieurs lui revinrent toutes à l’esprit ; il supprima sa seconde lettre et sa préface, et retira le plus qu’il put des exemplaires de la première lettre : ce qui la rend si difficile à trouver, que je ne l’ai jamais vue qu’une seule fois, et cela dans un Recueil de pièces fugitives fait dans le temps. Si jamais faute a pu être réparée par un repentir sincère, ç’a été certainement celle-là. J’ai été témoin du regret qu’il en a eu toute sa vie ; il n’en parloit qu’avec une humilité et une confusion capables seules de l’effacer. L’abbé Tallemant s’avisa un jour, en pleine Académie, de lui reprocher cette faute. Oui, Monsieur, lui répondit mon père, vous avez raison ; c’est l’endroit le plus honteux de ma vie, et je donnerois tout mon sang pour l’effacer : ce qui fit taire l’abbé Tallemant et tous les rieurs qui commençoient à lui applaudir. » Tiré sans doute de ces notes manuscrites de Jean-Baptiste Racine, le passage des Mémoires de son frère Louis sur le même sujet[1] y est conforme en substance, et il serait superflu de le rappeler ici. Remarquons seulement qu’il insiste sur le caractère spontané qu’eut la résolution de Racine, et qu’une représentation de son plus intime ami ne lui ôte pas, de supprimer sa seconde lettre et de retirer tous les exemplaires qu’il put trouver de la première. Il déclare entièrement erronée une note de Brossette sur la première lettre de Racine, dans son édition de 1716 des Œuvres de Boileau[2], où se trouvent ces paroles : « Ces Messieurs, alarmés par cette lettre, qui les menaçoit d’un écrivain aussi redoutable que Pascal, trouvèrent le

  1. Voyez notre tome I, p. 233-235.
  2. Elle est à la page 329 du tome II.