Page:Racine - Œuvres, tome 1, 1679.djvu/137

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Un secret si fatal au repos de tes jours ?
Combien de fois, tes yeux forçant ma résistance,
Mon cœur s’est-il vu près de rompre le silence !
Combien de fois, sensible à tes ardents désirs,
M’est-il, en ta présence, échappé des soupirs !
Mais je voulais encor douter de ta victoire :
J’expliquais mes soupirs en faveur de la gloire,
Je croyais n’aimer qu’elle. Ah ! pardonne, grand roi,
Je sens bien aujourd’hui que je n’aimais que toi.
J’avouerai que la gloire eut sur moi quelque empire ;
Je te l’ai dit cent fois. Mais je devais te dire
Que toi seul en effet m’engageas sous ses lois.
J’appris à la connaître en voyant tes exploits,
Et de quelque beau feu qu’elle m’eût enflammée,
En un autre que toi je l’aurais moins aimée.
Mais que sert de pousser des soupirs superflus
Qui se perdent en l’air et que tu n’entends plus ?
Il est temps que mon âme, au tombeau descendue,
Te jure une amitié si longtemps attendue ;
Il est temps que mon cœur, pour gage de sa foi,
Montre qu’il n’a pu vivre un moment après toi.
Aussi bien, penses-tu que je voulusse vivre
Sous les lois d’un vainqueur à qui ta mort nous livre ?
Je sais qu’il se dispose à me venir parler,
Qu’en me rendant mon sceptre il veut me consoler.
Il croit peut-être, il croit que ma haine étouffée
À sa fausse douceur servira de trophée.
Qu’il vienne. Il me verra, toujours digne de toi,
Mourir en reine, ainsi que tu mourus en roi.