Page:Racine - Œuvres, tome 1, 1679.djvu/214

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Qu'il mépriſaſt, Madame, un Roy victorieux,
Qui vous fait remonter au rang de vos Ayeux ;
Qui foule aux pieds pour vous vos Vainqueurs en colere,
Qui ne ſe ſouvient plus qu’Achille eſtoit ſon Pere,
Qui dément ſes Exploits, & les rend ſuperflus ?

Andromaque

Dois-je les oublier, s’il ne s’en ſouvient plus ?
Dois-je oublier Hector privé de funerailles,
Et traiſné ſans honneur autour de nos murailles ?
Dois je oublier ſon Pere à mes pieds renverſé,
Enſanglantant l’Autel qu’il tenoit embraſſé ?
Songe, ſonge, Cephiſe, à cette Nuit cruelle,
Qui fut pour tout un Peuple une Nuit eternelle.
Figure-toy Pyrrhus, les yeux étincelans,
Entrant à la lueur de nos Palais brûlans ;
Sur tous mes Freres morts ſe faiſant un paſſage,
Et de ſang tout couvert échauffant le carnage.
Songe aux cris des Vainqueurs, ſonge aux cris des Mourans,
Dans la flamme étouffez, ſous le fer expirans.
Peins-toy dans ces horreurs Andromaque éperduë.
Voila comme Pyrrhus vint s’offrir à ma veuë ;
Voila par quels exploits il ſçeût ſe couronner,
Enfin voila l’Epoux que tu me veux donner.
Non, je ne feray point complice de ſes crimes.
Qu'il nous prenne, s’il veut, pour dernieres Victimes,
Tous mes reſſentimens luy seroient aſſervis.

Cephise

Hé bien, allons donc voir expirer voſtre Fils.
On n’attend plus que vous. Vous fremiſſez, Madame ?

Andromaque

Ah ! de quel ſouvenir vient-tu frapper mon ame !
Quoy, Cephiſe, j’iray voir expirer encor
Ce Fils, ma ſeule joye, & l’image d’Hector ?
Ce Fils que de ſa flame il me laiſſa pour gage ?