Page:Racine - Œuvres, tome 1, 1679.djvu/215

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Helas ! je m’en ſouviens, le jour que ſon courage,
Luy fit chercher Achille, ou plûtoſt le treſpas ;
Il demanda ſon Fils, & le prit dans ſes bras.
Chere Epouſe, ( dit-il en eſſüyant mes larmes, )
J’ignore quel ſuccés le ſort garde à mes armes,
Je te laiſſe mon Fils, pour gage de ma foy ;
S’il me perd, je prétens qu’il me retrouve en toy.
Si d’un heureux hymen la memoire t’eſt chere,
Montre au Fils à quel point tu cheriſſois le Pere.
Et je puis voir répandre un ſang ſi precieux ?
Et je laiſſe avec luy perir tous ſes Ayeux ?
Roi barbare ! faut-il que mon crime l’entraiſne ?
Si je te hais, eſt-il coupable de ma haine ?
T’a-t'il de tous les ſiens reproché le trépas ?
S’eſt-il plaint à mes yeux des maux qu’il ne ſent pas ?
Mais cependant, mon Fils, tu meurs ſi je n’arreſte
Le fer que le Cruel tient levé ſur ta teſte.
Je l’en puis détourner, & je t’y vais offrir ?
Non tu ne mourras point, je ne le puis ſouffrir.
Allons trouver Pyrrhus. Mais non, chere Cephiſe,
Va le trouver pour moy.

Cephise

Va le trouver pour moy.Que faut-il que je diſe ?

Andromaque

Dy-luy que de mon Fils l’amour eſt aſſez fort…
Crois-tu que dans ſon cœur il ait juré ſa mort ?
L’amour peut-il ſi loin pouſſer ſa barbarie ?

Cephise

Madame, il va bien-toſt revenir en furie.

Andromaque

Eh bien ! va l’aſſurer…

Cephise

Eh bien ! va l’aſſurerDe quoy ? de votre foy ?

Andromaque

Helas ! pour la promettre eſt-elle encore à moy ?