Page:Racine - Œuvres, tome 1, 1679.djvu/224

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Reconnoiſtre la place où je dois l’immoler.
Cette Nuit je vous ſers. Cette Nuit je l’attaque.

Hermione

Mais cependant ce jour il épouſe Andromaque.
Dans le Temple déja le trône eſt élevé.
Ma honte eſt confirmée, & ſon crime achevé.
Enfin qu’attendez-vous ? Il vous offre ſa Teſte.
Sans Gardes, ſans défaite il marche à cette Feſte.
Autour du Fils d’Hector il les fait tous ranger.
Il s’abandonne au bras qui me voudra vanger.
Voulez-vous, malgré luy, prendre ſoin de ſa vie ?
Armez avec vos Grecs, tous ceux qui m’ont ſuivie.
Soulevez vos Amis. Tous les miens ſont à vous.
Il me trahit, vous trompe, & nous mépriſe tous.
Mais quoy ? Déja leur haine eſt égale à la mienne,
Elle épargne à regret l’Epoux d’une Troyenne.
Parlez. Mon Ennemy ne vous peut échapper.
Ou plûtoſt, il ne faut que les laiſſer frapper.
Conduiſez, ou fuivez une fureur ſi belle.
Revenez tout couvert du ſang de l’Infidelle.
Allez, en cét eſtat ſoyez ſeur de mon cœur.

Oreste

Mais, Madame, ſongez…

Hermione

Mais, Madame, ſongez…Ah ! c’en eſt trop, Seigneur.
Tant de raiſonnemens offenſent ma colere.
J’ay voulu vous donner les moyens de me plaire,
Rendre Orefte content. Mais enfin je voy bien,
Qu’il veut toûjours ſe plaindre, & ne meriter rien.
Partez, allez ailleurs vanter voſtre conſtance,
Et me laiſſez icy le ſoin de ma vangeance.
De mes laſches bontez mon courage eſt confus,
Et c’eſt trop en un jour eſſuyer de refus.
Je m’en vais ſeule au Temple, où leur hymen s’apreſte,
Où vous n’oſez aller meriter ma conqueſte.