Page:Racine - Œuvres, tome 1, 1679.djvu/228

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Et que voulant bien rompre un nœud ſi ſolennel,
Vous vous abandonniez au crime en criminel.
Eſt-il juſte apres tout, qu’un Conquerant s’abaiſſe
Sous la ſervile Loy de garder ſa promefſe ?
Non, non, la perfidie a de quoy vous tenter.
Et vous ne me cherchez que pour vous en vanter.
Quoy, ſans que ni ſerment, ni devoir vous retienne,
Rechercher une Grecque, Amant d’une Troyenne ?
Me quitter, me reprendre, & retourner encor
De la Fille d’Helene, à la Veuve d’Hector ?
Couronner tour à tour l’Eſclave & la Princeſſe,
Immoler Troye aux Grecs, au Fils d’Hector la Grece ?
Tout cela part d’un cœur toûjours maiſtre de ſoy,
D’un Heros qui n’eſt point Eſclave de ſa foy.
Pour plaire à voſtre Epouſe, il vous faudroit peut-eſtre
Prodiguer les doux noms de Parjure, & de Traiſtre.
Voſtre grand cœur ſans doute attend apres mes pleurs,
Pour aller dans ſes bras jouir de mes douleurs.
Chargé de tant d’honneur il veut qu’on le renvoye.
Mais, Seigneur, en un jour ce ſeroit trop de joye.
Et ſans chercher ailleurs des titres empruntez,
Ne vous ſuffit-il pas de ceux que vous portez ?
Du vieux Pere d’Hector la valeur abbattuë
Aux pieds de ſa Famille expirante à ſa veuë,
Tandis que dans ſon ſein voſtre bras enfoncé
Cherche un reſte de ſang que l’âge avoit glacé ;
Dans des ruiſſeaux de ſang Troye ardente plongée,
De voſtre propre main Polixene égorgée
Aux yeux de tous les Grecs indignez contre vous,
Que peut-on refuſer à ces genereux coups ?

Pyrrhus

Madame, je ſçay trop à quel excez de rage
La vangeance d’Helene emporta mon courage.
Je puis me plaindre à vous du ſang que j’ay verſé.
Mais enfin je conſens d’oublier le paſſé.