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Page:Racine - Œuvres, tome 1, 1679.djvu/37

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TRAGEDIE.


HEMON.

Mais enfin qu’ay-je fait, en ce malheur extréme,
Que ne m’ait ordonné ma Princeſſe elle-meſme ?
J’ay ſuivi Polinice, & vous l’avez voulu,
Vous me l’avez preſcrit par un ordre abſolu.
Je luy voüay dés-lors une amitié ſincere,
Je quittay mon Païs, j’abandonnay mon Pere,
Sur moi par ce depart j’attiray ſon courroux,
Et pour tout dire, enfin, je m’éloignay de vous.

ANTIGONE.

Je m’en ſouviens, Hémon, & je vous fais juſtice.
C’eſt moi que vous ſerviez en ſervant Polinice ;
Il m’eſtoit cher alors comme il l’eſt aujourd’huy,
Et je prenois pour moi ce qu’on faiſoit pour luy.
Nous nous aimions tous deux dés la plus tendre enfance,
Et j’avois ſur ſon cœur une entiere puiſſance ;
Je trouvois à luy plaire une extréme douceur,
Et les chagrins du Frére eſtoient ceux de la Sœur.
Ah ! ſi j’avois encor ſur luy le meſme empire,
Il aimeroit la Paix, pour qui mon cœur ſoûpire.
Noſtre commun mal-heur en ſeroit adouci ;
Je le verrois, Hémon, vous me verriez auſſi.

HEMON.

De cette affreuse guerre il abhorre l’image.
Je l’ay vû soûpirer de douleur & de rage,
Lors que pour remonter au Trône paternel,
On le força de prendre un chemin ſi cruel.
Eſperons que le Ciel touché de nos miſeres,
Achevera bien-toſt de réünir les Freres ;
Puiſſe-t-il reſtablir l’amitié dans leur cœur,
Et conſerver l’amour dans celuy de la Sœur.

ANTIGONE.

Helas ! ne doutez point que ce dernier ouvrage
Ne luy ſoit plus aiſé que de calmer leur rage ;