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LES FRERES ENNEMIS.


POLINICE.

Mais vous-meſme, ma Sœur, eſt-ce aimer voſtre Frere,
Que de luy faire icy cette injuſte priere,
Et me vouloir ravir le Sceptre de la main ?
Dieux ! qu’eſt-ce qu’Eteocle a de plus inhumaia ?
C’eſt trop favoriſer un tyran qui m’outrage.

ANTIGONE.

Non non vos intereſts me touchent davantage,
Ne croyez pas mes pleurs perfides à ce point,
Avec vos ennemis ils ne conſpirent point.
Cette paix que je veux me ſeroit un ſupplice,
S’il en devoit couſter le Sceptre à Polinice,
Et l’unique faveur, mon Frere, ou je prétens,
C’eſt qu’il me ſoit permis de vous voir plus long-tẽps.
Seulement quelques jours ſouffrez que l’on vous voye.
Et donnez-nous le temps de chercher quelque voye,
Qui puiſſe vous remettre au rang de vos ayeux,
Sans que vous répandiez un ſang ſi precieux.
Pouvez vous refuſer cette grace legere,
Aux larmes d’une Sœur, aux ſoûpirs d’une Mere ?

IOCASTE.

Mais quelle crainte encor vous peut inquieter ?
Pourquoy ſi promptement voulez-vous nous quitter ?
Quoy ce jour tout entier n’eſt-il pas de la tréve,
Dés qu’elle a commencé faut-il qu’elle s’acheve ?
Vous voyez qu’Etéocle a mis les armes bas,
Il veut que je vous voye, & vous ne voulez pas.

ANTIGONE.

Oüy, mon Frere, il n’eſt pas comme vous inflexible,
Aux larmes de ſa Mere il a paru ſenſible,
Nos pleurs ont deſarmé ſa colere aujourd’huy,
Vous l’appellez tyran, vous l’eſtes plus que luy.

HEMON.

Seigneur ; rien ne vous preſſe, & vous pouvez ſans peine,