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LES FRERES ENNEMIS.

Au milieu des deux camps s’eſt avancé ſans crainte,
Et ſe faiſant ouïr des Grecs & des Thebains,
Arreſtez, a-t’il dit, arreſtez inhumains.
Ces mots imperieux n’ont point trouvé d’obſtacle,
Les Soldats eſtonnez de ce nouveau ſpectacle,
De leur noire fureur ont ſuſpendu le cours,
Et ce Prince auſſi-toſt pourſuivant ſon diſcours,
Apprenez, a-t’il dit, l’Arreſt des deſtinées,
Par qui vous allez voir vos miſeres bornées,
Je ſuis le dernier ſang de vos Roys deſcendu,
Qui par l’ordre des Dieux doit eſtre répandu.
Recevez donc ce ſang que ma main va répandre,
Et recevez la Paix où vous n’oſiez prétendre.
Il ſe taiſt, & ſe frappe en achevant ces mots,
Et les Thebains voyant expirer ce Heros,
Comme ſi leur ſalut devenoit leur ſupplice,
Regardent en tremblant ce noble Sacrifice.
J’ay veû le triſte Hémon abandonner ſon rang
Pour venir embraſſer ce Frere tout en ſang.
Creon à ſon exemple a jetté bas les armes,
Et vers ce Fils mourant eſt venu tout en larmes,
Et l’un & l’autre camp les voyant retirez,
Ont quitté le combat & ſe ſont ſeparez.
Et moy le cœur tremblant, & l’ame toute émeuë,
D’un ſi funeſte objet j’ay deſtourné la veuë,
De ce Prince admirant l’heroïque fureur.

IOCASTE.

Comme vous je l’admire, & j’en fremis d’horreur.
Eſt-il poſſible, ô Dieux, qu’apres ce grand miracle,
Le repos des Thebains trouve encor quelque obſtacle ?
Cet illuſtre trépas ne peut-il vous calmer,
Puiſque meſme mes Fils s’en laiſſent deſarmer ?
La refuſerez-vous cette noble victime ?
Si la vertu vous touche autant que fait le crime,
Si vous donnez les prix comme vous puniſſez,