Page:Racine - Britannicus 1670.djvu/46

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Quelle nuit ! Quel réveil ! Vos pleurs, voſtre preſence
N’ont point de ces cruels deſarmé l’inſolence ?
Que faiſoit voſtre Amant ? Quel demon envieux
M’a refuſé l’honneur de mourir à vos yeux ?
Helas ! dans la frayeur dont vous eſtiez atteinte
M’avez-vous en ſecret adreſſé quelque plainte ?
Ma Princeſſe, avez-vous daigné me ſouhaiter ?
Sõgiez-vous aux douleurs que vous m’alliez coûter ?
Vous ne me dites rien ? Quel accueil ! Quelle glace !
Eſt-ce ainſi que vos yeux conſolent ma diſgrace ?
Parlez. Nous ſommes ſeuls. Noſtre ennemy trompé
Tandis que je vous parle eſt ailleurs occupé.
Ménageons les momens de cette heureuſe abſence.

JUNIE.
Vous eſtes en des lieux tout pleins de ſa puiſſance.

Ces murs meſmes, Seigneur, peuvent avoir des yeux,
Et jamais l’Empereur n’eſt abſent de ces lieux.

BRITANNICUS.
Et depuis quand, Madame, eſtes-vous ſi craintive ?

Quoy déja voſtre amour ſouffre qu’on le captive ?
Qu’eſt devenu ce cœur qui me juroit toûjours
De faire à Neron meſme envier nos amours ?
Mais banniſſez, Madame, une inutile crainte.
La foy dans tous les cœurs n’eſt pas encore eſteinte.
Chacun ſemble des yeux approuver mon courroux ;
La Mere de Neron ſe declare pour nous ;
Rome de ſa conduite elle meſme offenſée…

JUNIE.
Ah Seigneur, vous parlez contre voſtre penſée.

Vous meſme vous m’avez avoüé mille fois
Que Rome le loüoit d’une commune voix.
Toûjours à ſa vertu vous rendiez quelque hõmage.
Sans doute la douleur vous dicte ce langage.