Page:Racine - Britannicus 1670.djvu/81

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Mais de tout l’Univers quel ſera le langage ?
Sur les pas des Tyrans veux-tu que je m’engage,
Et que Rome effaçant tant de titres d’honneur
Me laiſſe pour tous noms celuy d’empoiſonneur ?
Ils mettront ma vangeance au rang des parricides.

NARCISSE.
Et prenez-vous, Seigneur, leurs caprices pour guides ?

Avez-vous pretendu qu’ils ſe tairoient toûjours ?
Eſt-ce à vous de preſter l’oreille à leurs diſcours ?
De vos propres deſirs perdrez-vous la memoire ?
Et ſerez-vous le ſeul que vous n’oſerez croire ?
Mais, Seigneur, les Romains ne vous ſont pas cõnus.
Non non, dans leurs diſcours ils ſont plus retenus.
Tant de precaution affoiblit voſtre regne.
Ils croiront en effet meriter qu’on les craigne.
Au joug depuis long-temps ils ſe ſont façonnez.
Ils adorent la main qui les tient enchaînez.
Vous les verrez toûjours ardens à vous complaire.
Leur prompte ſervitude a fatigué Tibere.
Moy-même revêtu d’un pouvoir emprunté,
Que je receus de Claude avec la liberté,
J’ay cent fois dans le cours de ma gloire paſſée
Tenté leur patience, & ne l’ay point laſſée.
D’un empoiſonnement vous craignez la noirceur ?
Faites perir le Frere, abandonnez la Sœur.
Rome ſur ſes Autels prodiguant les victimes,
Fuſſent-ils innocens, leur trouvera des crimes.
Vous verrez mettre au rang des jours infortunez :
Ceux où jadis la Sœur & le Frere ſont nez.

NERON.
Narciſſe, encore un coup, je ne puis l’entreprendre.

J’ay promis à Burrhus, il a falu me rendre.
Je ne veux point encore en luy manquant de foy
Donner à ſa vertu des armes contre moy.