Page:Racine - Les Plaideurs, Barbin, 1669.djvu/34

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Enfin, au bout d’un an, ſentence par laquelle
Nous ſommes renvoyés hors de cour. J’en appelle.
Pendant qu’à l’audience on pourſuit un arrêt,
Remarquez bien ceci, madame, s’il vous plaît,
Notre ami Drolichon, qui n’eſt pas une bête,
Obtient pour quelque argent un arrêt ſur requête,
Et je gagne ma cauſe. À cela, que fait-on ?
Mon chicaneur s’oppoſe à l’exécution.
Autre incident : tandis qu’au procès on travaille,
Ma partie en mon pré laiſſe aller ſa volaille.
Ordonné que ſera fait rapport à la cour
Du foin que peut manger une poule en un jour :
Le tout joint au procès enfin, & toute choſe
Demeurant en état, on appointe la cauſe,
Le cinquième ou ſixième avril cinquante-ſix.
J’écris ſur nouveaux frais. Je produis, je fournis
De dits, de contredits, enquêtes, compulſoires,
Rapports d’experts, tranſports, trois interlocutoires,
Griefs & faits nouveaux, baux & procès-verbaux.
J’obtiens lettres royaux, & je m’inſcris en faux.
Quatorze appointements, trente exploits, ſix inſtances,
Six-vingts productions, vingt arrêts de défenſes,
Arrêt enfin. Je perds ma cauſe avec dépens
Eſtimés environ cinq à ſix mille francs.
Eſt-ce là faire droit ? Eſt-ce là comme on juge ?
Après quinze ou vingt ans ! Il me reſte un refuge :
La requête civile eſt ouverte pour moi.
Je ne ſuis pas rendu. Mais vous, comme je voi,
Vous plaidez ?

LA COMTESSE

Vous plaidez ? Plût à Dieu !

CHICANEAU

Vous plaidez ? Plût à Dieu ! J’y brûlerai mes livres.

LA COMTESSE

Je…