Je confie à tes soins mon unique trésor :
Si tu vivois pour moi, vis pour le fils d’Hector.
De l’espoir des Troyens seule dépositaire,
Songe à combien de rois tu deviens nécessaire.
Veille auprès de Pyrrhus ; fais-lui garder sa foi :
S’il le faut, je consens qu’on lui parle de moi.
Fais-lui valoir l’hymen où je me suis rangée ;
Dis-lui qu’avant ma mort je lui fus engagée, iiio
Que ses ressentiments doivent être effacés,
Qu’en lui laissant mon fils, c’est l’estimer assez.
Fais connoître à mon fils les héros de sa race ;
Autant que tu pourras, conduis-le sur leur trace.
Dis-lui par quels exploits leurs noms ont éclaté,
Plutôt ce qu’ils ont fait que ce qu’ils ont été ;
Parle-lui tous les jours des vertus de son père ;
Et quelquefois aussi parle-lui de sa mère.
Mais qu’il ne songe plus, Céphise, à nous venger :
Nous lui laissons un maître, il le doit ménager.
Qu’il ait de ses aïeux un souvenir modeste[1] :
Il est du sang d’Hector, mais il en est le reste ;
Et pour ce reste enfin j’ai moi-même en un jour
Sacrifié mon sang, ma haine et mon amour.
Hélas !
Prévoit qu’il ne pourra commander à tes larmes.
On vient. Cache tes pleurs, Céphise ; et souviens-toi
- ↑ Sénèque, Troas, 742 :
…Spiritus genitor facit ?
Sed nempe trachis ipse post Trojam pater
Posuisset animos, magna quos frangunt mala.
« Est-ce son père qui lui donnerait de l’orgueil ? Mais Hector même
traîné autour de Troie eût déposé sa fierté : l’adversité abat la fierté. »