Page:Racine - Théâtre choisi, 1904, éd. Lanson.djvu/105

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Mais j’ai cru qu’à mon tour tu me counoissois mieux.
Quoi donc ? as-tu pensé qu’Audromaque infidèle
Pût trahir un époux qui croit revivre en elle ;
Et que de tant de morts réveillant la douleur,
Le soin de mon repos me fit troubler le leur ?
Est-ce là cette ardeur tant promise à sa cendre[1] ?
Mais son fils périssoit : il l’a fallu défendre,
Pyrrhus en m’épousant s’en déclare l’appui ;
Il suffit : je veux bien m’en reposer sur lui.
Je sais quel est Pyrrhus. Violent, mais sincère,
Céphise, il fera plus qu’il n’a promis de faire.
Sur le courroux des Grecs je m’en repose encor. :
Leur haine va donner un père au fils d’Hector.
Je vais donc, puisqu’il faut que je me sacrifie,
Assurer à Pyrrhus le reste de ma vie ;
Je vais, en recevant sa foi sur les autels.
L’engager à mon fils par des nœuds immortels,
Mais aussitôt ma main, à moi seule funeste,
D’une infidèle vie abrégera le reste.
Et sauvant ma vertu, rendra ce que je doi
À Pyrrhus, à mon fils, à mon époux, à moi.
Voilà de mon amour l’innocent stratagème ;
Voilà ce qu’un époux m’a commandé lui-même.
J’irai seule rejoindre Hector et mes aïeux.
Céphise, c’est à toi de me fermer les yeux.

CÉPHISE.

Ah ! ne prétendez pas que je puisse survivre…

ANDROMAQUE.

Non, non, je te défends, Céphise, de me suivre.

  1. Non servata fides cineri promissa Sichæo. (Virg. Én. IV, 552.)

    « La foi promise à la cendre de Sichée n’a pas été gardée. »