Page:Racine - Théâtre choisi, 1904, éd. Lanson.djvu/110

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Soyons ses ennemis, et non. ses assassins :
Faisons de sa ruine une juste conquête.
Quoi ? pour réponse, aux Grecs porterai-je sa tête ?
Et n’ai-je pris sur moi le soin de tout l’État
Que pour m’en acquitter par un assassinat ?
Souffrez, au nom des Dieux, que la Grèce s’explique,
Et qu’il meure chargé de la haine publique.
Souvenez-vous qu’il règne, et qu’un front couronné…

HERMIONE.

Ne vous suffit-il pas que je l’ai condamné ?
Ne vous suffit-il pas que ma gloire offensée
Demande une victime à moi seule adressée ;
Qu’Hermione est le prix d’un tyran opprimé[1],
Que je le hais ; enfin. Seigneur, que je l’aimai ?
Je ne m’en cache point : l’ingrat m’avoit su plaire.
Soit qu’ainsi t’ordonnât mon amour ou mon père,
N’importe ; mais enfin réglez-vous là-dessus.
Malgré mes vœux. Seigneur, honteusement déçus,
Malgré la juste horreur que son crime me donne.
Tant qu’il vivra craignez que je ne lui pardonne.
Doutez jusqu’à sa mort d’un courroux incertain :
S’il ne meurt aujourd’hui, je puis l’aimer demain.

ORESTE.

Hé bien ! il faut le perdre[2], et prévenir sa grâce ;
Il faut… Mais cependant que faut-il que je fasse ?
Comment puis-je sitôt servir votre courroux ?
Quel chemin jusqu’à lui peut conduire mes coups ?
À peine suis-je encore arrivé dans l’Épire,
Vous voulez par mes mains renverser un empire ;

  1. Opprimé : tué par surprise. Latinisme original.
  2. Perdre : détruire, tuer. Latinisme, qui n’est pas particulier à Racine.