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ACTE V




Scène PREMIÈRE

HERMIONE, seule.

Où suis-je ? Qu’ai-je fait ? Que dois-je faire encore ?
Quel transport me saisit ? Quel chagrin me dévore ?
Errante, et sans dessein, je cours dans ce palais.
Ah ! ne puis-je savoir si j’aime, ou si je hais ?
Le cruel ! de quel œil il m’a congédiée !
Sans pitié, sans douleur, au moins étudiée.
L’ai-je vu se troubler et me plaindre un moment[1] ?
En ai-je pu tirer un seul gémissement ?
Muet à mes soupirs, tranquille à mes alarmes,
Sembloit-il seulement qu’il eût part à mes larmes ?
Et je le plains encore ? Et pour comble d’ennui,
Mon cœur, mon lâche cœur s’intéresse pour lui ?
Je tremble au seul pensei’ du coup qui le menace ?
Et prête à me venger, je lui fais déjà grâce ?
Non, ne révoquons point l’arrêt de mon courroux :

  1. Var.
    Ai-je vu ses regards se troubler un moment ? (1668-76.)
    L’ai-je vu s’attendrir, se troubler un moment ? (1687.)

    Les vers 1399-1402 sont inspirés de Virgile. Didon (Én., IV, 569-70] dit :
    Num fletu ingemuit nostro ? num lumina flexit ?
    Num lacrymas victus dedit ? aut miseratua amantem est ?

    « A-t-il gémi de mes larmes ? A-t-il détourné les yeux ? A-t-il versé des larmes ? A-t-il eu pitié, vaincu par mon amour ? »