Page:Racine - Théâtre choisi, 1904, éd. Lanson.djvu/125

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Je voue à votre fils une amitié de père ;
J’en atteste les Dieux, je le jure à sa mère.
Pour tous mes ennemis je déclare les siens,
Et je le reconnois pour le roi des Troyens. »
À ces mots, qui du peuple attiroient le suffrage.
Nos Grecs n’ont répondu que par un cri de rage ;
L’infidèle s’est vu partout envelopper,
Et je n’ai pu trouver de place pour frapper.
Chacun se disputoit la gloire de l’abattre.
Je l’ai vu dans leurs mains quelque temps se débattre.
Tout sanglant à leurs coups vouloir se dérober ;
Mais enfin à l’autel il est allé tomber[1].
Du peuple épouvanté j’ai traversé la presse
Pour venir de ces lieux enlever ma princesse,

    Et gardât à mes yeux quelque spectacle encor
    Qui fit couler mes pleurs pour un autre qu’Hector.
    Vous avez trouvé seule une sanglante voie
    De suspendre en mon cœur le souvenir de Troie.
    Plus barbare aujourd’hui qu’Achille et que son fils,
    Vous me faites pleurer mes plus grands ennemis
    Et ce que n’avoient pu promesse ni menace,
    Pyrrhus de mon Hector semble avoir pris la place.
    Je n’ai que trop, Madame, éprouvé son courroux :
    J’aurois plus de sujet de m’en plaindre que vous.
    Pour dernière rigueur ton amitié cruelle,
    Pyrrhus, à mon époux me rendoit infidèle.
    Je t’en allois punir. Mais le ciel m’est témoin
    Que je ne poussois pas ma vengeance si loin ;
    Et sans verser ton sang, ni causer tant d’alarmes,
    Il ne t’en eût coûté peut-être que des larmes.
    HERMIONE.
    Quoi ? Pyrrhus est donc mort ?
    ORESTE.
    Quoi ? Pyrrhus est donc mort ? Oui, nos Grecs irrités

    [Ont lavé dans son sang ses infidélités.] (1668.)

  1. Racine, dans ces vers, s’est souvenu de quelques endroits d’Euripide, qui raconte très prolixement la mort de Pyrrhus dans son Andromaque.