Page:Racine - Théâtre choisi, 1904, éd. Lanson.djvu/50

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PYLADE.

J’en rends grâces au ciel, qui m’arrêtant sans cesse
10Sembloit m’avoir fermé le chemin de la Grèce,
Depuis le jour fatal que la fureur des eaux
Presque aux yeux de l’Épire écarta[1] nos vaisseaux.
Combien dans cet exil ai-je souffert d’alarmes !
Combien à vos malheurs ai-je donné de larmes,
15Craignant toujours pour vous quelque nouveau danger
Que ma triste amitié ne pouvoit partager !
Surtout je redoutois cette mélancolie
Où j’ai vu si longtemps votre âme ensevelie.
Je craignois que le ciel, par un cruel secours,
20Ne vous offrît la mort que vous cherchiez toujours.
Mais je vous vois, Seigneur ; et si j’ose le dire,
Un destin plus heureux vous conduit en Épire :
Le pompeux appareil qui suit ici vos pas
N’est point d’un malheureux qui cherche le trépas.

ORESTE.

25Hélas ! qui peut savoir le destin qui m’amène ?
L’amour me fait ici chercher une inhumaine.
Mais qui sait ce qu’il doit ordonner de mon sort,
Et si je viens chercher ou la vie ou la mort ?

PYLADE.

Quoi ? votre âme à l’amour en esclave asservie
30Se repose sur lui du soin de votre vie ?
Par quel charme, oubliant tant de tourments soufferts,
Pouvez-vous consentir à rentrer dans ses fers ?
Pensez-vous qu’Hermione, à Sparte inexorable,
Vous prépare en Épire un sort plus favorable ?
Honteux d’avoir poussé[2] tant de vœux superflus,

  1. Écarta, sépara : sens rare hors de Racine. — Aux yeux de, en vue de.
  2. Poussé. Furetière admet pousser des vœux, comme pousser des