Page:Racine - Théâtre choisi, 1904, éd. Lanson.djvu/73

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Qui n’apaisoient leurs dieux que du sang des mortels ;
Ils m’ont fermé leur temple ; et ces peuples barbares
De mon sang prodigué sont devenus avares[1].
Enfin je viens à vous, et je me vois réduit
À chercher dans vos yeux une mort qui me fuit.
Mon désespoir n’attend que leur indifférence :
Ils n’ont qu’à m’interdire un reste d’espérance,
Ils n’ont, pour avancer cette mort où je cours,
Qu’à me dire une fois ce qu’ils m’ont dit toujours.
Voilà, depuis un an, le seul soin qui m’anime.
Madame, c’est à vous de prendre une victime
Que les Scythes auroient dérobée à vos coups.
Si j’en avois trouvé d’aussi cruels que vous[2]

HERMIONE.

Quittez, Seigneur, quittez ce funeste langage.
À des soins plus pressants la Grèce vous engage.
Que parlez-vous du Scythe et de mes cruautés ?
Songez à tous ces rois que vous représentez[3].

  1. Vers critiqués par Subligny qui trouvait avares inexact, et aurait voulu offert au lieu de prodigué. — Geoffroy, le critique des Débats, blâmait Racine d’avoir prêté un mensonge à Ovide : il a été jeté par la tempête chez les Scythes, et il s’est sauvé, loin d’offrir son sang, emmenant la statue de la déesse et sa prêtresse. Il suffit à Racine qu’Oreste ait fui son pays, pour supposer que, troublé, las de la vie, il cherchait la mort dans ses courses lointaines.
  2. Voilà une jolie pointe, qui vaut brûlé plus de feux, etc.
  3. Var. Non, non, ne pensez pas qu’Hermione dispose
    D’un sang sur qui la Grèce aujourd’hui se repose.
    Mais vous-même, est-ce ainsi que vous exécutez
    Les vœux de tant d’États que vous représentez.
    (Éd. 1668 et 1673.)

    Subligny railla se reposer sur un sang et demanda si les Grecs dont Oreste exécutait les vœux avaient voué un pèlerinage en Épire (Préface). Racine sentit qu’il y avait quelque manque de justesse dans ces vers,
    et les changea.