Page:Racine - Théâtre choisi, 1904, éd. Lanson.djvu/82

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Allez voir Hermione ; et content de lui plaire,
Oubliez à ses pieds jusqu’à votre colère.
Vous-même à cet hymen venez la disposer.
Est-ce sur un rival qu’il s’en faut reposer ?
Il ne l’aime que trop.

PYRRHUS.

Il ne l’aime que trop. Crois-tu, si je l’épouse,
Qu’Andromaque en son cœur n’en sera pas jalouse[1] ?

PHŒNIX.

Quoi ? toujours Andromaque occupe votre esprit ?
Que vous importe, ô Dieux ! sa joie ou son dépit ?
Quel charme, malgré vous, vers elle vous attire ?

PYRRHUS.

Non, je n’ai pas bien dit tout ce qu’il lui faut dire :
Ma colère à ses yeux n’a paru qu’à demi ;
Elle ignore à quel point je suis son ennemi.
Retournons-y. Je veux la braver à sa vue,
Et donner à ma haine une libre étendue[2].
Viens voir tous ses attraits, Phœnix, humiliés.
Allons.

  1. Toute la scène, et ce vers surtout ont été blâmés par des juges trop attachés à l’absolue séparation des genres. Boileau, selon le Bolæana et selon Brossette, voyait là une scène de comédie. L’abbé Dubos (Réflexions critiques sur la poésie et la peinture, I, 18) pense de même. Ce fut le malheur de la tragédie qu’on en exclut rigoureusement les mouvements modérés et naturels : on l’enferma dans le pathétique violent, qui ne peut être continu qu’à force d’artifices et de conventions. Il y a ici une charmante comédie, si l’on veut, mais comédie du sentiment vrai, profond, ingénu par sa sincérité même.
  2. Amalfrède, dans Quinault, dit d’Amalasonte qui a mandé Théodat :
    Elle doit le haïr, mais elle doit le voir ;
    Et je ne sais que trop par mon expérience
    Que le voir et l’aimer ont peu de différence. (III, 3.)

    Expression sèche, abstraite et alfadie du sentiment.