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Arsace.

Je vous entens, Seigneur. Ces mêmes dignités
Ont rendu Bérénice ingrate à vos bontés.
L’inimitié ſuccède à l’amitié trahie.

Antiochus

Non, Arſace, jamais je ne l’ai moins haïe.

Arsace.

Quoi donc ? de ſa grandeur déjà trop prévenu,
Le nouvel Empereur vous a-t-il méconnu ?
Quelque preſſentiment de ſon indifférence
Vous fait-il loin de Rome éviter ſa préſence ?

Antiochus

Titus n’a point pour moi paru ſe démentir,
J’aurois tort de me plaindre.

Arsace.

J’aurois tort de me plaindre.Et pourquoi donc partir ?
Quel caprice vous rend ennemi de vous-même ?
Le ciel met ſur le trône un prince qui vous aime,
Un prince qui jadis témoin de vos combats,
Vous vit chercher la gloire & la mort ſur ſes pas ;
Et de qui la valeur par vos ſoins ſecondée,
Mit enfin ſous le joug la rebelle Judée.
Il ſe ſouvient du jour illuſtre & douloureux
Qui décida du ſort d’un long ſiège douteux.
Sur leur triple rempart les ennemis tranquilles
Contemploient, ſans péril, nos assauts inutiles.
Le bélier impuiſſant les menaçoit en vain.
Vous ſeul, Seigneur, vous ſeul, une échelle à la main,
Vous portâtes la mort juſque ſur leurs murailles.
Ce jour preſque éclaira vos propres funérailles ;
Titus vous embraſſa mourant entre mes bras,
Et tout le camp vainqueur pleura votre trépas.
Voici le temps, Seigneur, où vous devez attendre
Le fruit de tant de ſang qu’ils vous ont vû répandre.
Si, preſſé du déſir de revoir vos états,
Vous vous laſſez de vivre, où vous ne régnez pas ;
Faut-il que ſans honneur l’Euphrate vous revoie ?
Attendez pour partir que Céſar vous renvoie