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Page:Racine Théâtre Barbou 1760 tome2.djvu/25

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Il ne faut point mentir : ma juſte impatience
Vous accuſoit déjà de quelque négligence.
Quoi ! cet Antiochus, diſois-je, dont les ſoins
Ont eu tout l’Orient et Rome pour témoins ;
Lui que j’ai vû toujours, conſtant dans mes traverſes,
Suivre d’un pas égal mes fortunes diverſes ;
Aujourd’hui que le Ciel ſemble me préſager
Un honneur, qu’avec vous je prétens partager ;
Ce même Antiochus, ſe cachant à ma vûe,
Me laiſſe à la merci d’une foule inconnue ?

Antiochus

Il eſt donc vrai, Madame ? Et, ſelon ce diſcours,
L’hymen va ſuccéder à vos longues amours !

Bérénice

Seigneur, je vous veux bien confier mes allarmes.
Ces jours ont vû mes yeux baignés de quelques larmes.
Ce long deuil que Titus impoſoit à ſa cour
Avoit, même en ſecret, ſuſpendu ſon amour.
Il n’avait plus pour moi cette ardeur aſſidue,
Lorſqu’il paſſoit les jours, attaché ſur ma vûe.
Muet, chargé de ſoins, & les larmes aux yeux,
Il ne me laiſſoit plus que de triſtes adieux.
Jugez de ma douleur, moi dont l’ardeur extrême,
Je vous l’ai dit cent fois, n’aime en lui que lui-même :
Moi qui, loin des grandeurs dont il eſt revêtu,
Aurois choiſi ſon cœur, et cherché ſa vertu.

Antiochus

Il a repris pour vous ſa tendreſſe première ?

Bérénice

Vous fûtes ſpectateur de cette nuit dernière,
Lorsque, pour ſeconder ſes ſoins religieux,
Le Sénat a placé ſon père entre les Dieux.
De ce juſte devoir ſa piété contente,
A fait place, Seigneur, au ſoin de ſon amante.
Et, même en ce moment, ſans qu’il m’en ait parlé,
Il est dans le Sénat par ſon ordre aſſemblé.
Là, de la Paleſtine il étend la frontière ;
Il y joint l’Arabie & la Syrie entière.