Page:Racine Théâtre Barbou 1760 tome2.djvu/26

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et, ſi de ſes amis j’en dois croire la voix,
Si j’en crois ſes ſerments redoublés mille fois,
Il va ſur tant d’états couronner Bérénice,
Pour joindre à plus de noms celui d’impératrice.
Il m’en viendra lui-même aſſûrer en ce lieu.

Antiochus

Et je viens donc vous dire un éternel adieu.

Bérénice

Que dites-vous ? Ah ! Ciel ! Quel adieu ! Quel langage !
Prince, vous vous troublez & changez de viſage ?

Antiochus

Madame, il faut partir.

Bérénice

Madame, il faut partir.Quoi ! Ne puis-je ſavoir
Quel ſujet…

Antiochus, à part.

Quel sujet…Il falloit partir ſans la revoir.

Bérénice

Que craignez-vous ? Parlez ; c’eſt trop long-tems ſe taire.
Seigneur, de ce départ, quel eſt donc le myſtère ?

Antiochus

Au moins ſouvenez-vous que je cède à vos loix,
Et que vous m’écoutez pour la dernière fois.
Si, dans ce haut degré de gloire & de puiſſance,
Il vous ſouvient des lieux où vous prîtes naiſſance,
Madame, il vous ſouvient que mon cœur en ces lieux
Reçut le premier trait qui partit de vos yeux.
J’aimai, j’obtins l’aveu d’Agrippa votre frère.
Il vous parla de moi. Peut-être ſans colère
Alliez-vous de mon cœur recevoir le tribut ;
Titus, pour mon malheur, vint, vous vit, & vous plut.
Il parut devant vous dans tout l’éclat d’un homme
Qui porte entre ſes mains la vengeance de Rome.
La Judée en pâlit. Le triſte Antiochus
Se compta le premier au nombre des vaincus.
Bientôt de mon malheur interprète ſévère,
Votre bouche à la mienne ordonna de ſe taire.