Aller au contenu

Page:Racine Théâtre Barbou 1760 tome2.djvu/27

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je diſputai long-temps, je fis parler mes yeux.
Mes pleurs & mes ſoupirs vous ſuivoient en tous lieux.
Enfin, votre rigueur emporta la balance ;
Vous ſûtes m’impoſer l’exil ou le ſilence ;
Il fallut le promettre, & même le jurer.
Mais, puiſqu’en ce moment j’oſe me déclarer,
Lorſque vous m’arrachiez cette injuſte promeſſe,
Mon cœur faiſoit ſerment de vous aimer ſans ceſſe.

Bérénice

Ah ! que me dites-vous ?

Antiochus

Ah ! que me dites-vous ? Je me ſuis tû cinq ans,
Madame, & vais encor me taire plus long-temps.
De mon heureux rival j’accompagnai les armes.
J’eſpérai de verſer mon ſang après mes larmes ;
Ou qu’au moins, juſqu’à vous porté par mille exploits,
Mon nom pourroit parler, au défaut de ma voix.
Le Ciel ſembla promettre une fin à ma peine :
Vous pleurâtes ma mort, hélas ! trop peu certaine.
Inutiles périls ! Quelle étoit mon erreur !
La valeur de Titus ſurpaſſoit ma fureur.
Il faut qu’à ſa vertu mon eſtime réponde.
Quoiqu’attendu, Madame, à l’empire du Monde,
Chéri de l’univers, enfin aimé de vous,
Il ſembloit à lui ſeul appeler tous les coups ;
Tandis que, ſans eſpoir, haï, laſſé de vivre,
Son malheureux rival ne ſembloit que le suivre.
Je vois que votre cœur m’applaudit en ſecret ;
Je vois que l’on m’écoute avec moins de regret ;
Et que, trop attentive à ce récit funeſte,
En faveur de Titus, vous pardonnez le reſte.
Enfin, après un ſiège auſſi cruel que lent,
Il dompta les mutins, reſte pâle & ſanglant
Des flammes, de la faim, des fureurs inteſtines ?
Et laiſſa leurs remparts cachés ſous leurs ruines.
Rome vous vit, Madame, arriver avec lui.
Dans l’Orient déſert quel devint mon ennui !