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Page:Racine Théâtre Barbou 1760 tome2.djvu/30

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Rome vous voit, Madame, avec des yeux jaloux ;
La rigueur de ſes loix m’épouvante pour vous.
L’hymen chez les romains n’admet qu’une romaine.
Rome hait tous les rois : & Bérénice eſt reine.

Bérénice

Le temps n’eſt plus, Phénice, où je pouvois trembler.
Titus m’aime ; il peut tout, il n’a plus qu’à parler.
Il verra le Sénat m’apporter ſes hommages,
Et le peuple, de fleurs couronner nos images.
De cette nuit, Phénice, as-tu vû la ſplendeur ?
Tes yeux ne ſont-ils pas tout pleins de ſa grandeur ?
Ces flambeaux, ce bucher, cette nuit enflammée,
Ces aigles, ces faiſceaux, ce peuple, cette armée,
Cette foule de rois, ces conſuls, ce ſénat,
Qui tous de mon amant empruntoient leur éclat ;
Cette pourpre, cet or, que rehauſſoit ſa gloire,
Et ces lauriers encor témoins de ſa victoire ;
Tous ces yeux qu’on voyoit venir de toutes parts,
Confondre ſur lui ſeul leurs avides regards ;
Ce port majeſtueux, cette douce préſence :
Ciel, avec quel reſpect & quelle complaiſance,
Tous les cœurs, en ſecret, l’aſſuroient de leur foi ?
Parle. Peut-on le voir ſans penſer comme moi,
Qu’en quelque obſcurité que le ſort l’eût fait naître,
Le monde, en le voyant, eût reconnu ſon maître ?
Mais, Phénice, où m’emporte un ſouvenir charmant ?
Cependant Rome entière, en ce même moment,
Fait des vœux pour Titus ; &, par des ſacrifices,
De ſon règne naiſſant célèbre les prémices.
Que tardons-nous ? Allons, pour ſon empire heureux,
Au Ciel, qui le protège, offrir auſſi nos vœux.
Auſſi-tôt, ſans l’attendre, & ſans être attendue,
Je reviens le chercher ; &, dans cette entrevûe,
Dire tout ce qu’aux cœurs, l’un de l’autre contens,
Inſpirent des tranſports retenus ſi long-temps.


Fin du premier Acte