Page:Racine Théâtre Barbou 1760 tome2.djvu/35

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Tout cela, qu’un amant ſait mal ce qu’il déſire !
Dans l’eſpoir d’élever Bérénice à l’empire ;
De reconnoître un jour ſon amour & ſa foi,
Et de voir à ſes pieds tout le Monde avec moi.
Malgré tout mon amour, Paulin, & tous ſes charmes,
Après mille ſermens appuyés de mes larmes,
Maintenant que je puis couronner tant d’attraits,
Maintenant que je l’aime encor plus que jamais ;
Lorsqu’un heureux hymen, joignant nos deſtinées,
Peut payer, en un jour, les vœux de cinq années,
Je vais, Paulin… Ô ciel ! puis-je le déclarer ?

Paulin

Quoi, Seigneur ?

Titus

Quoi, Seigneur ? Pour jamais je vais m’en ſéparer.
Mon cœur, en ce moment, ne vient pas de ſe rendre.
Si je t’ai fait parler, ſi j’ai voulu t’entendre,
Je voulois que ton zèle achevât en ſecret
De confondre un amour qui ſe taît à regret.
Bérénice a long-temps balancé la victoire ;
Et ſi je penche enfin du côté de ma gloire,
Crois qu’il m’en a coûté, pour vaincre tant d’amour,
Des combats dont mon cœur ſaignera plus d’un jour.
J’aimois, je ſoupirois, dans une paix profonde.
Un autre étoit chargé de l’empire du Monde.
Maître de mon deſtin, libre dans mes ſoupirs,
Je ne rendois qu’à moi compte de mes deſirs.
Mais à peine le Ciel eut rappelé mon père ;
Dès que ma triſte main eut fermé ſa paupière,
De mon aimable erreur je fus déſabuſé :
Je ſentis le fardeau qui m’étoit impoſé.
Je connus que bien-tôt, loin d’être à ce que j’aime,
Il falloit, cher Paulin, renoncer à moi-même ;
Et que le choix des Dieux, contraire à mes amours,
Livrait à l’univers le reſte de mes jours.
Rome obſerve aujourd’hui ma conduite nouvelle.
Quelle honte pour moi ! Quel préſage pour elle,