Page:Racine Théâtre Barbou 1760 tome2.djvu/39

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Tandis qu’autour de moi votre cour aſſemblée
Retentit des bienfaits dont vous m’avez comblée,
Eſt-il juſte, Seigneur, que ſeule, en ce moment,
Je demeure ſans voix & ſans reſſentiment ?
Mais, Seigneur, (car je ſais que cet ami ſincère
Du ſecret de nos cœurs connoît tout le myſtère),
Votre deuil eſt fini, rien n’arrête vos pas,
Vous êtes ſeul enfin, & ne me cherchez pas.
J’entens que vous m’offrez un nouveau diadème,
Et ne puis cependant vous entendre vous-même.
Hélas, plus de repos, Seigneur, & moins d’éclat !
Votre amour ne peut-il paroître qu’au ſénat ?
Ah, Titus, (car enfin l’amour fuit la contrainte
De tous ces noms que ſuit le reſpect & la crainte)
De quel ſoin votre amour va-t-il s’importuner !
N’a-t-il que des états qu’il me puiſſe donner ?
Depuis quand croyez-vous que ma grandeur me touche !
Un ſoupir, un regard, un mot de votre bouche,
Voilà l’ambition d’un cœur comme le mien.
Voyez-moi plus ſouvent, & ne me donnez rien.
Tous vos moments ſont-ils dévoués à l’empire ?
Ce cœur, après huit jours, n’a-t-il rien à me dire ?
Qu’un mot va raſſurer mes timides eſprits !
Mais parliez-vous de moi, quand je vous ai ſurpris ?
Dans vos ſecrets diſcours étois-je intéreſſée,
Seigneur ? Étois-je au moins préſente à la penſée !

Titus

N’en doutez point, Madame, & j’atteſte les Dieux
Que toujours Bérénice eſt préſente à mes yeux.
L’abſence ni le temps, je vous le jure encore,
Ne vous peuvent ravir ce cœur qui vous adore.

Bérénice

Hé quoi, vous me jurez une éternelle ardeur,
Et vous me la jurez avec cette froideur !
Pourquoi même du Ciel atteſter la puiſſance ?
Faut-il par des ſerments vaincre ma défiance ?
Mon cœur ne prétend point, Seigneur, vous démentir,
Et je vous en croirai ſur un ſimple ſoupir.