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LE BAL DU COMTE D’ORGEL

d’un rire aux notes inhumaines, suraigu. « Je ne me serais jamais soupçonné tant d’esprit », pensait François. Non content de rire, d’applaudir aux paroles de Séryeuse, pourtant bien anodines, Anne le proclamait sublime, merveilleux, admirable, et répétait ses phrases à sa femme. Cette dernière singularité n’était pas ce qui dérangeait le moins Séryeuse. Car Anne d’Orgel répétait la phrase de François, mot à mot, comme s’il eût traduit une langue étrangère, et Mme  d’Orgel, dans son amour conjugal, paraissait n’entendre que lorsque c’était Anne qui parlait. Celui-ci n’agissait de la sorte que pour conserver le dé de la conversation. Buvait-il, mangeait-il, il agitait sa main libre pour empêcher qu’on s’en emparât, et imposer silence. Ce geste était devenu un tic, et il le faisait même quand il n’y avait rien à craindre, comme ce jour-là, où sa femme, qui ne parlait jamais, et François, qui parlait peu, n’étaient point d’une concurrence redoutable.

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