réagir sur le moral. Les réflexions de ce genre sont rares dans son œuvr ; nous n’y trouvons en général aucune inquiétude, aucune curiosité pour les mystères de la vie, pour tout l’inconnu de la nature. Elle est une paisible observatrice de ce qui est concret dans l’existence, elle voit clairement tout ce que des yeux humains peuvent voir, mais elle n’a pas la hantise de l’invisible et de l’abstrait. Toute son attention est concentrée sur ce qui se fait et ce qui se dit autour des tables à thé de la bourgeoisie ; elle analyse à merveille les émotions du cœur humain sous l’influence d’un amour tranquille et raisonnable ; mais le cerveau ne l’intéresse pas. Elle ne conçoit dans ses romans d’autre motif d’action pour ses jeunes gens que la recherche de discrètes émotions sentimentales ; elle ne s’attache dans ses lettres qu’aux menus détails des réceptions mondaines, et sa sympathie ne s’étend presque jamais au-delà du cercle de sa famille.
Quelquefois, très rarement, une raillerie sur les gens qui s’abandonnent trop à leur enthousiasme, sur les auteurs qui introduisent de longues dissertations politiques ou littéraires au milieu de leur roman, le silence brusque d’un de ses personnages qui commençait à philosopher et qui a peur soudainement d’ennuyer ses interlocuteurs, pourraient faire croire que c’est systématiquement qu’elle restreint son sujet et ses moyens d’expression. On se demande si son cerveau n’était pas plus meublé, si son âme n’était pas plus sensible, qu’ils ne paraissent dans son œuvre ; si raillant si bien, trouvant si aisément le point ridicule chez autrui, elle n’a pas craint d’exposer des sentiments et des opinions trop chéris à la malveillance du public, comme elle craignait d’y exposer son nom.
Mais ce ne sont que des impressions fugitives ; de l’ensemble de l’œuvre, de ce qui nous reste de sa correspondance, nous sommes, au contraire, amenés à voir en Jane Austen une de ces natures d’artistes consciencieux