Page:Rague - Jane Austen, 1914.djvu/214

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extravagant et les couleurs voyantes des cartes postales venues de loin. De même qu’il faut une certaine éducation de l’œil et de la sensibilité pour comprendre le charme d’un coin de campagne aux reliefs discrets, de même il faut un certain raffinement d’esprit pour se plaire aux simples histoires de Jane Austen, à son style sobre et limpide ; et suivant l’expression de George Eliot « seules les intelligences cultivées savent apprécier son art exquis » [1].

Les livres de Miss Austen ne sont point pour ses admirateurs d’honnêtes romans que les mères peuvent mettre entre les mains de leurs tilles afin de satisfaire leur sentimentalité sans craindre d’enflammer leur imagination. Ils y cherchent autre chose que des épisodes émouvants et ne courent pas à la dernière page pour connaître plus tôt le dénouement. Seuls les détails leur importent. Il faut se rappeler, en abordant ces volumes pleins d’une saveur subtile, le conseil de Bacon : « Quelques livres doivent être goûtés, d’autres doivent être avalés et un très petit nombre doivent être mâchés et digérés ; c’est-à-dire quelques livres ne doivent être lus qu’en partie, quelques autres sans grande attention, et un très petit nombre entièrement, avec soin et réflexion. » Les livres de Jane Austen sont du très petit nombre qui doivent être mâchés et digérés. C’est à cette condition qu’ils nous procurent toute la délicate joie intellectuelle qu’ils sont susceptibles de donner. Et, si quelques personnes graves ont peur de compromettre leur respectabilité, en s’appesantissant ainsi sur de fraîches histoires où il n’est question que de raisonnables amours de jeunes gens bien élevés, elles n’ont, pour calmer leurs scrupules, qu’à se rappeler qu’un éminent homme d’État, Disraëli, se vantait d’avoir lu dix-sept fois Orgueil et Préventions.

  1. H. Bonnell. C.Brontë, G. Eliot, J. Austen.