Page:Raguey - Le Buste voilé, Roman complet no 19, 1916.djvu/36

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sa racine en bonne terre. Je voyais bien que je me mourais, et je n’avais pas la force de lutter contre cette mort qui venait à grands pas. Un jour, deux vieilles femmes vinrent acheter du pain ; l’une d’elles me regarda avec une si grande pitié, qu’elle me troubla. Je l’entendis qui disait à sa compagne, en s’éloignant : « Avant un mois, cette pauvre fille dormira dans le cimetière. »

Cette idée de la mort ainsi présentée me bouleversa. Je crus à l’instant même me sentir enveloppée du suaire, me heurter aux parois de ma bière, et chercher à soulever le poids immense de la terre glacée jetée sur mon corps. Non, me dis-je, non, non je ne veux pas mourir encore. Je veux le revoir, et si je dois mourir quand même, je veux qu’il connaisse le secret de mon âme.

— Chère Pia, comme vous avez dû souffrir ?

— Oh ! oui, me répondit-elle. C’est que, voyez-vous, c’est bien triste de s’en aller pour toujours avec une affection au cœur. Il me semble que c’est mourir deux fois. Je crois qu’il est moins dur de voir repousser son amour que de ne pouvoir l’avouer à qui l’a fait naître. Voulant donc à tout prix guérir de ce mal que nul n’avait deviné, je résolus d’aller toute seule consulter un célèbre médecin de Florence. Mon amie que vous avez déjà vue avec moi s’en vint, d’après un accord fait entre nous, me trouver à Prato et demanda à ma sœur l’autorisation de m’emmener à Florence. Ma sœur la donna d’autant plus volontiers qu’elle crut s’apercevoir que l’idée de ce petit voyage me souriait ; elle espérait que j’y trouverais une heureuse diversion à ma tristesse.