Page:Raguey - Le Buste voilé, Roman complet no 19, 1916.djvu/60

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À cet endroit de son récit Carlo Rinaldi s’arrêta un moment. Puis, passant la main sur son front soit pour en chasser une trop sombre pensée, soit pour mieux y fixer un souvenir, il reprit ainsi :

Le fait que je vais vous raconter pourra paraître insignifiant à bien des gens ; mais il a eu pour moi les plus tristes conséquences. C’est l’acte d’un fou, sans doute, mais il peut facilement s’expliquer par l’état où je me trouvais en ce moment. Ce qui venait de se passer entre Pia et moi avait étrangement surexcité tout mon être, et cependant en voyant Pia toujours calme et réservée, je faisais des efforts pour contenir l’expression de la joie et du bonheur qui m’enivraient. Et si je voulais m’approcher d’elle, son regard aussitôt m’arrêtait et semblait me dire : veillez donc un peu mieux sur vous ; on peut tout deviner. Cette contrainte agissait d’une manière déplorable sur mes nerfs.

Je causais et riais très gaiement avec Peppina, qui, par ses saillies et ses plaisanteries entretenait mon excitation nerveuse. Enfin cédant à un besoin irrésistible d’expansion, mouvement dans lequel il y avait aussi le désir de faire prendre le change à Peppina sur notre situation respective, je saisis celle-ci entre mes bras, et tandis que, surprise, elle riait et se débattait, je lui pris un baiser, je crois que, me trouvant à ce moment au milieu de la campagne j’aurais aussi bien embrassé un arbre : j’avais besoin d’affirmer par un fait extérieur quelconque l’amour qui débordait en moi.