Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/104

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Nous ne nous arrêterons que sur l’abondance de l’or et de l’argent. Voila donc, bien nettement formulée, la « théorie quantitative » ou Quantitœtstheorie des Allemands. Bodin établit d’abord sa proposition sur l’exemple de renchérissement général qui avait eu lieu à Rome, soit, au dire de Plutarque et de Pline, après la conquête de la Macédoine par Paul Emile, soit aussi, au dire de Suétone, après la bataille d’Aetium et la soumission de l’Égypte. Alors « l’usure diminua, dit Bodin, et le prix des terres fut plus cher de beaucoup qu’il n’était auparavant. Ce n’était donc pas la disette des terres, qui ne peuvent croître, ni diminuer ; ni le monopole, qui, ne peut avoir lieu en tel cas : mais c’était l’abondance d’or et d’argent, qui cause le mépris d’iceluy et la cherté des choses prisées[1]. » Or, poursuit-il, il est certain que les existences de métal précieux ont beaucoup augmenté depuis trois siècles, et il se met à l’établir.

D’où vient donc que l’or et l’argent, si rares cependant aux siècles passés, sont devenus plus abondants en France ? En analysant bien la pensée de Bodin, on voit que la cause, selon lui, est le développement, des exportations, qui lui-même tient au progrès de l’industrie, à la paix extérieure, à l’accroissement de la population et à la richesse naturelle de la France comparée à celle des pays voisins[2].

  1. Ibid.
  2. « Le marchand et l’artisan qui font venir l’or et l’argent cessaient alors : car le Français, ayant un pays des plus fertiles-du monde, s’adonnait à labourer la terre et nourrir son bétail… Le trafic du Levant n’avait point cours… Le trafic de Ponent était du tout inconnu avant que l’Espagnol eût fait voile en la mer des Indes… L’Anglais nous avait clos les avenues, de l’Espagne et des Îles… Les querelles de la maison d’Anjou et d’Aragon nous coupaient les ports d’Italie…Or, est-il que l’Espagnol, qui ne tient vie que de France, étant contraint par force inévitable de prendre ici les blés, les toiles, les draps… va chercher au bout du monde l’or et l’argent et les épiceries. D’un autre côté l’Anglais, l’Écossais et tout le peuple de Norvège, Suède, Danemark et de la côte baltique, qui ont une infinité de minières, vont fouir les métaux aux centres de la terre pour acheter nos vins… et surtout notre sel… L’autre occasion de tant de biens qui nous sont venus depuis six ou sept vingts ans, c’est le peuple infini qui est multiplié en ce royaume depuis que les guerres civiles de la maison d’Orléans et de Bourgogne furent assoupies » (Loc.cit.).