Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/108

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née[1]. Cependant, s’il veut retenir parfois les céréales, ce n’est point pour en empêcher par principe l’exportation : en effet, il est tellement convaincu de la supériorité agricole de la France qu’il demande, comme moyen d’alléger le poids des impôts une traite foraine sur le « blé, vin, sel, pastel, toiles et drap, et principalement sur le vin, sel et blé, qui sont, trois éléments desquels dépend après Dieu la vie de l’étranger et qui ne peuvent faillir ». De la sorte, ajoute-t-il, on « soulagerait merveilleusement le peuple et enrichirait le royaume[2] ». Peut-être bien cependant dans la République (qui ne fut écrite que huit ans après) le système de Bodin est-il plus franchement mercantiliste, ou protectionniste au sens de Colbert. Là Bodin veut des droits élevés à la sortie des matières premières ; il les veut élevés aussi à l’entrée des produits, jusqu’au point d’être prohibitifs ; il les veut faibles au contraire à l’entrée des matières premières et à la sortie des produits finis[3].

Ce qui achève de nous rendre Bodin précieux, ce sont les détails de statistique et d’histoire qu’il nous donne sur le prix des choses et de la main-d’œuvre : à cet égard il précède même Fromenteau[4], et il le fait avec un véritable

  1. Ibid., p. 61 recto.
  2. Ibid., p. 60 verso. — Voyez aussi République, 1. VI, ch. II, éd. de 1599, p. 875. — « Il est expédient de hausser l’imposition foraine à l’étranger des choses desquelles il ne peut se passer ; et par ce moyen accroître les finances et soulager les sujets » (Ibid., p. 877). — La traite foraine était alors, au témoignage de Bodin, de 1 sou par livre (5 %) ; mais il fallait ajouter le domaine forain, ce qui faisait 1 sou 8 deniers, comme déclare Bodin, soit 8% (p. 875). — Dans les idées du temps on croyait que les droits de douane, payés par les étrangers, étaient, en outre, réellement supportés par eux.
  3. « Quant aux matières qu’on apporte des pays étrangers, il est besoin de rabaisser l’impôt, et le hausser aux ouvrages de main, et ne permettre qu’il en soit rapporté de pays étranger, ni souffrir qu’on emporte du pays les denrées crues » (République, I. VI, ch. II, p. 877).
  4. Le secret des finances de France… par N. Fromenteau, travail demandé par une réunion que des délégués provinciaux tinrent à Paris en 1580. « Fromenteau, dit Baudrillart, établit la statistique de plusieurs provinces de France par diocèses, bailliages, etc. ; pour la plupart de ces circonscriptions, il détermine le chiffre de la population, celui des diverses sommes payées au roi de France depuis trente et un ans par les trois ordres et tirées de différentes sources de revenus qu’il évalue une à une… » (Baudrillart, Jean Bodin et son temps, p.92).