Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/124

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enlevant aux baillis et sénéchaux le pouvoir d’autoriser la traite des blés, avait revendiqué ce pouvoir comme « royal et domanial », ne pouvant être « communiqué à personne[1] ».

La question, pour le XVIIe siècle, doit être envisagée sous un tout autre aspect. Colbert ne la tenait point pour tranchée en principe ; seulement, de même que la loi moderne sur les brevets d’invention dépossède très réellement le public de son droit d’inventer et d’exploiter ses inventions, ainsi Colbert accordait aux créateurs de manufactures des privilèges qui prévenaient et empêchaient la concurrence.

L’idée d’un monopole régalien du travail ne saurait donc être, invoquée pour Colbert. Il se proposait même beaucoup plus d’acclimater l’industrie, que déplacer les industriels sous le pouvoir de l’État[2]. Lui-même, dans un mémoire au roi, résumait comme suit son système : « Réduire les droits à la sortie sur les denrées et les manufactures du royaume ; diminuer aux entrées les droits sur tout ce qui sert aux fabriques ; repousser par l’élévation des droits les produits des manufactures étrangères[3] ». Puis, en parlant aux négociants lyonnais des béquilles qu’il leur avait prêtées et qu’il comptait leur retirer plus tard, il révélait par ce mot que la question des droits éducateurs ne lui était point inconnue.

Mais ce qui le préoccupait avant tout et ce qui le poussait à développer l’industrie et la richesse, c’était-le souci des impositions à faire rentrer. Le ministre du trésor perçait donc sous ce que nous appellerions aujourd’hui le ministre du commerce, et la prospérité du pays, au lieu de lui apparaître comme un but, ne lui était guère qu’un moyen de servir la politique du grand roi[4].

C’est ici surtout que Colbert se révèle mercantiliste étroit et soupçonneux : pour lui, il n’y a que « l’abondance

  1. Ibid.
  2. G. Martin, op. cit., p. 95.
  3. Cité par Forbonnais, Considérations sur les finances, t. II, p. 434.
  4. G. Martin, op. cit., p. 30.