Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/148

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enfin, il a des vues plus individualistes sur la richesse, et il regarde le désir du profit comme le stimulant le plus efficace de la prospérité, en vertu de lois naturelles dont le libre jeu ne doit pas être combattu par l’action de l’État. Bien plus encore, au nom de ces mêmes lois, il croit à la justice et à la nécessité de l’échange, entre les nations, comme, il a cru à une solidarité économique des diverses branches de travail et d’industrie[1].

À ses yeux, « la terre que l’on compte pour le dernier des biens, donne le principe à tous les autres, et ce sont principalement les blés qui mettent toutes les professions sur pied ». À cet égard le Traité des grains est une œuvre de combat ; il exprime les plaintes des propriétaires contre la philanthropie mal entendue de ceux qui, pour servir l’intérêt des consommateurs pauvres, veulent que le blé soit à bas prix et que pour l’y mettre l’État en régularise les cours. Dans la première partie du Traité, Boisguilbert conclut que le prix assez élevé et peu variable de toutes choses sert à la longue les intérêts du consommateur aussi bien que ceux du producteur[2] ; dans la seconde, il répond qu’un prix convenable, au lieu de pouvoir être obtenu par une réglementation de l’État, doit résulter de la suppression des droits de douane et de la pleine liberté de l’exportation. Voilà pourquoi il condamne les greniers d’abondance, que Vauban réclamait ; voilà pourquoi, se regardant comme « l’organe des laboureurs et des gens des champs », il consacre toute cette seconde partie du Traité des grains

  1. « La nature ne connaît, dit-il, ni différents États, ni divers souverains, ne s’embarrassant pas non plus s’ils sont amis ou ennemis, ni s’ils se font la guerre, pourvu qu’ils ne la lui déclarent pas ; ce qui arrivant, quoique par une pure ignorance, elle ne tarde guère à punir la rébellion que l’on fait à ces lois, comme on n’en a que trop fait l’expérience » (Nature des richesses, ch. V, éd. Daire, p. 391).
  2. Op. cit., Ire partie, ch. IV, V et VI. — On pourrait encore recommander la lecture de ces chapitres de Boisguilbert à ceux des libre-échangistes contemporains qui combattent par esprit de système les droits actuels sur les blés et qui se soucient peu de la ruine de l’agriculture, qui serait la conséquence de la suppression de ces droits.