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science économique a subi, a deux causes principales : 1o l’absence des études statistiques ; 2o le dédain de la méthode inductive.

La statistique est, en effet, d’origine toute récente ; même le chiffre de la population est resté fort mal connu jusqu’au commencement du xixe siècle, et cela, dans les pays, comme la France, où le système administratif était le plus développé et où la centralisation était poussée le plus loin[1]. Les phénomènes sociaux, constatés d’une manière trop fragmentaire, ne fournissaient donc pas une matière suffisante à l’esprit d’observation et à la méthode inductive.

De son côté, cette dernière méthode était restée généralement beaucoup trop dédaignée, même dans les branches de connaissances où elle aurait pu trouver assez de matériaux pour s’exercer. La déduction et la méthode métaphysique ont joui fort longtemps d’une faveur exclusive.

Ainsi s’explique que même les parties de la physique

  1. Sous Louis XVI, les académies et les économistes discutaient encore quelle était, à deux millions près, la population de la France (voir la Population française, par Levasseur [1889-1892], t. I, ch. XII et XIII, et t. III, appendice, et la discussion à la Société d’économie sociale les 11 novembre 1889 et 10 février 1890, publiée dans la Réforme sociale). — Les esprits les plus adonnés aux spéculations économiques donnaient en ce temps là des preuves singulières de leur ignorance forcée en statistique. Ainsi Hume, dans son Essai sur le commerce (1752), critique Melon en ces termes : « M. Melon, dans son Essai politique sur le commerce (1734), assure que, des 20 millions dont la France est peuplée, il y en a 16 de laboureurs et de paysans, 2 d’artisans, 1 d’ecclésiastiques, de militaires et de gens de loi, et 1 de marchands, de financiers et de bourgeois. Ce calcul est évidemment faux : en France, en Angleterre et dans la plus grande partie des États de l’Europe, la moitié du peuple vit dans les villes, et il s’en faut beaucoup que tous les habitants de la campagne soient cultivateurs ; les artisans en forment peut-être plus du tiers » (Essai sur le commerce, p. 11 [en note] de l’édition Guillaumin). — Or, plus d’un siècle plus tard, en 1846, la population urbaine de la France, c’est-à-dire la population agglomérée de plus de 2.000 âmes, ne faisait pas encore le quart de la population totale (24,42 % contre 75,58 % de population rurale). Et dans l’intervalle, avec l’industrie manufacturière qui s’était développée sensiblement en France sous la Restauration et sous Louis-Philippe, il est hors de doute que la proportion de population urbaine était déjà beaucoup plus forte qu’au commencement du règne de Louis XV. Ainsi Melon avait certainement raison contre Hume, qui croyait que, dès 1734, la moitié des Français se trouvait dans les villes. Hume était d’autant plus tranchant qu’il était plus mal renseigné.