Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/188

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beaucoup trop ; enfin, par la pénurie des observations économiques et par une connaissance insuffisante de la complexité des phénomènes. Même aujourd’hui, beaucoup des hommes qui accusent l’école physiocratique d’un dogmatisme exagéré, tombent dans le même défaut, en abordant les questions économiques, soit avec les déductions métaphysiques de Karl Marx, soit avec d’autres formules aprioristiques, qu’ils empruntent ordinairement à la morale et dont ils font des applications erronées et abusives.

Cependant, même avec les physiocrates, il faut bien noter qu’ils prétendaient légiférer seulement pour un peuple « agricole » : ce n’est, en effet, que pour un peuple « agricole » que Quesnay rédigeait les Maximes, et Mercier de la Rivière établissait très nettement le contraste (inexact d’ailleurs) des peuples agricoles et des peuples commerçants[1] ;

3° La confusion entre l’ordre économique et l’ordre moral, en ce sens que les lois morales ne tendraient qu’à assurer le bien-être du genre humain, et que la science morale deviendrait la subordonnée de la science économique.

« Les lois naturelles, disait par exemple Quesnay, sont ou physiques ou morales. On entend ici par loi physique le cours, réglé de tout événement de l’ordre naturel évidemment le plus avantageux au genre humain. On entend ici par loi morale la règle de toute action humaine de l’ordre moral conforme à l’ordre physique évidemment le plus avantageux au genre humain[2]. »

Des passages de ce genre ne nous semblent protégés contre la critique d’une saine philosophie que par l’obscurité qui les enveloppe et qui permet de disserter sans

  1. Ordre naturel et essentiel des sociétés, éd. Daire, p. 566. — Mercier de la Rivière se trompe en prétendant que « les peuples qui n’ont d’autres revenus que les salaires qui leur sont payés par d’autres nations qui se servent d’eux pour commercer entre elles…, ne forment point de véritables corps politiques…, et qu’un peuple de commerçants, quels que soient leurs profits, ne peut jamais former un État riche ».
  2. Droit naturel, ch. v ; Despotisme de la Chine, ch. VIII, § I (Oncken, p. 637). — « Physique », ici, désigne tout ce qui est naturel en dehors de l’idée de bien et mal moral.