Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/189

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fin sur la véritable pensée de leur auteur. Mais en réalité, si les lois morales tendent certainement au bonheur des hommes en général et même de tous les hommes en particulier, c’est, avant toutes choses, dans la perspective des récompensés qui doivent en suivre l’accomplissement. En outre — à moins que par lois morales Quesnay n’ait entendu le rapport de succession entre un fait envisagé au point de vue de sa moralité et un autre fait dont le premier serait la cause — il semble bien y avoir chez les physiocrates une confusion manifeste entre les deux sens très divers du mot « lois », selon que l’on parle de lois morales proprement dites, qui commandent, ou bien de lois économiques, qui ne font que décrire et expliquer.

La confusion de l’économie politique et de la morale — ou plutôt le caractère subalterne de la morale à l’égard de l’économie politique — éclate surtout dans l’Abrégé des principes de l’économie politique. Cet Abrégé, paru en 1772, est un manifeste à forme bizarre, qui rappelle à la fois, suivant le mot de Dupont, tout ensemble « les arbres généalogiques et les inscriptions lapidaires ». Il est de Charles-Frédéric, margrave de Bade ; mais Dupont, soupçonné d’y avoir collaboré, doit au moins l’avoir inspiré, et en tout cas les physiocrates y ont bien reconnu leur esprit[1].

  1. Voici à cet égard le passage le plus caractéristique de cet Abrégé (que nous dépouillons de sa bizarrerie de lignes et de caractères) : — « La connaissance de cette grande vérité (le point fixe d’unité d’intérêt entre les hommes ou l’intérêt général et commun des trois classes qui composent la société) est la science de la vie humaine, qui donne une vraie base à la morale, en offrant un point de réunion à des intérêts contradictoires en apparence. Son plan et ses résultats sont de montrer à l’homme que la plus vive ardeur de ses désirs et ses plus grands efforts pour l’extension de ses jouissances sont un bien, pourvu qu’il ne les porte jamais à attenter au droit d’autrui et que ce droit soit pour lui une barrière sacrée. Que s’il enfreint le moins du monde cette barrière sacrée posée par la justice éternelle et toute-puissante non seulement il fait l’injustice et le mal moral, mais il fait encore une folie, il opère son mal physique, il se blesse et se punit lui-même. Cette science montre en un mot que les peines et les récompenses commencent dès cette vie, qu’elles consistent d’abord en biens et en maux physiques toujours prompts, toujours exacts et calculés sur les effets de notre conduite. Elle montre ainsi : 1° nos devoirs envers Dieu… ; 2° nos devoirs envers nos semblables… ; 3° nos devoirs envers nous-mêmes, qui se réduisent