Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/208

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nations ;…il ne considère point de quel pays sont ses vendeurs, ni, quand il revend, de quel pays sont ses acheteurs. » Ce n’est pas encore assez : « les commerçants nationaux, poursuit-il, ne font point, en cette qualité, partie des hommes qui constituent l’État ; et une preuve, c’est que les richesses mobilières et occultes ne font jamais corps avec les richesses de l’État et même ne s’accroissent qu’aux dépens de celles de l’État…, car il n’y a que les productions annuellement renaissantes dans l’État, qu’on puisse regarder comme richesses pour l’État[1]. »

Ainsi, ce que les physiocrates demandent, c’est un commerce extérieur, non pas très développé, mais très libre. « Le commerce extérieur, disent-ils, diminue en raison inverse de l’augmentation du commerce intérieur[2]… Le plus petit commerce extérieur est suffisant, pourvu qu’il jouisse de la plus grande liberté[3]. » Toujours incapable d’enrichir une nation, le commerce extérieur est capable de l’appauvrir, de la ruiner, de l’anéantir[4]. Enfin un peuple commerçant fera toujours un État précaire, incapable de vivre d’autre chose que des salaires payés par d’autres nations[5].

Pourquoi donc, s’il en était ainsi, les physiocrates étaient-ils des libéraux en matière de douanes ? C’est que, comme tous leurs contemporains[6], ils étaient convaincus que la France récoltait beaucoup plus de céréales qu’elle n’en pouvait consommer : de là et des entraves au commerce

  1. Mercier de la Rivière, Ordre naturel et essentiel, ibid., pp. 562-563.
  2. Ibid., p. 606.
  3. Ibid., p. 607.
  4. « Disposez le commerce de manière qu’il enlève aux cultivateurs une partie du prix auquel ils devraient vendre leurs productions, tout change de face en un instant… Le commerce extérieur n’enrichit plus une nation, il l’appauvrit, et si ce désordre continuait, il parviendrait à la ruiner, à l’anéantir » (Op. cit., p. 547). — Dans le même sens, Le Trosne, Intérêt social, ch. VII, § 2, édition Daire, pp. 965 et s.
  5. Mercier de la Rivière, Ordre naturel et essentiel, pp. 566-567.
  6. Voyez Afanassiev, Commerce des céréales en France au XVIIIe siècle, passim.