Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/255

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Mais à ce moment la Constituante, avec la loi du 2 mars 1791, qui supprimait les maîtrises, et avec la fameuse loi Le Chapelier, du 14 juin de la même année, qui interdisait toute association professionnelle et tout groupement tenté en vue des « intérêts prétendus communs », avait achevé de réaliser une des idées maîtresses des physiocrates et plus particulièrement de Turgot. Les orateurs qui soutinrent les projets de loi, et notamment Dallarbe, qui fut rapporteur de celle du 2 mars 1791, firent de larges emprunts à l’ancien ministre de Louis XVI.

Tout était-il donc nouveau dans ce régime de 1791 ? Ou bien n’était-ce, sous l’empire de circonstances nouvelles, que la rédaction légale et tout à fait généralisée de certaines idées que l’ancien régime aurait eu déjà mises en pratique à titre d’expédients et de procédés, sinon encore à titre de système ? C’est à ce dernier avis que nous nous rallions pleinement. Pour nous comprendre on n’a qu’à suivre, tout au cours du XVIIIe siècle, l’histoire du compagnonnage, ouvrier, avec tous les troubles qu’il souleva et avec toutes les mesures de répression que ceux-ci provoquèrent[1]. Au commencement de la Révolution, la recrudescence du désordre et la fréquence des émeutes achevèrent de déterminer les législateurs[2].

Nous nous expliquerons plus tard sur le contraste —

  1. Voyez Germain Martin, les Associations ouvrières au XVIIIe siècle, Paris, 1900.
  2. « La loi Le Chapelier — dit M. Germain Martin — est une loi de circonstances et non l’œuvre d’un législateur obéissant aux idées de l’école physiocratique. » Mais il se hâte d’ajouter que, « assurément, les principes dont les membres de l’Assemblée étaient imbus, ne devaient pas les éloigner de voter une loi qui paraissait assurer à tout jamais l’abolition du régime corporatif » (Associations ouvrières au XVIIIe siècle, p. 242). — Le Chapelier s’appuyait sur cette idée, que la suppression des corporations avait supprimé tout intermédiaire entre l’intérêt général et l’intérêt particulier. Il ajoutait que « l’institution de ces assemblées (qui succédaient aux sociétés compagnonniques des devoirs) avait été stimulée dans l’esprit des ouvriers, moins dans le but de faire augmenter par leur coalition le salaire de la journée de travail, que dans l’intention secrète de fomenter des troubles ». Au surplus, « c’est aux conventions libres d’individu à individu,’ajoutait-il, à fixer la journée pour chaque ouvrier. »