Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/26

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

démontrer que les pures théories mercantilistes ne pussent pas se réclamer d’Aristote, bien mieux encore que de Xénophon[1].

La méthode commerciale, dédaignée toujours sous quelque forme qu’elle se montre, est absolument exécrée quand elle affecte la forme du prêt à intérêt. Aristote a frappé ce contrat d’une condamnation implacable, dont il a cru trouver le principe dans la raison elle-même[2]. C’est lui qui en a donné, non pas l’idée, mais la formule à saint Thomas d’Aquin et à tous les théologiens scolastiques, sauf à eux à développer et à compléter l’argumentation[3].

Voilà l’œuvre propre d’Aristote, et il faut bien reconnaître qu’elle est considérable.

Partout ailleurs, cependant, il a obéi aux préjugés de son siècle. Quelques contradictions qu’il ait opposées aux rêveries immorales de Platon, il est aussi étranger que lui à toute idée de progrès économique ou social ; il croit, comme lui, à la nécessité d’une population stationnaire, vivant sur un revenu national également stationnaire ; bien plus, pour assurer au sein d’une cité l’équilibre entre les besoins et les biens, il accepte comme lui le retard forcé des mariages, puis les avortements et les infanticides[4]. Enfin, même mépris du travail que chez tous ses contemporains[5], et même foi dans la constante nécessite de l’esclavage. L’esclavage, en effet, pour Aristote, est tout à la fois d’utilité sociale et de justice natu-

  1. « Voilà comment il semble que la science de l’acquisition a surtout l’argent pour objet (théorie mercantiliste) et que son but principal est de pouvoir découvrir les moyens de multiplier les biens ; car elle doit créer les biens et l’opulence. C’est qu’on place souvent l’opulence dans l’abondance de l’argent, parce que c’est sur l’argent que roulent l’acquisition et la vente » (Politique, 1. I, ch. III, § 23).
  2. Ibid.
  3. Infra, p. 58.
  4. Politique, 1. IV, ch. xiv, §§6 et 10.
  5. « La vertu n’a rien à faire avec les occupations habituelles des marchands, des artisans, des mercenaires » (Politique, 1. VII, ch. n, § 7. — Item, 1. III, ch. ii, § 8).