Aller au contenu

Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/27

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

relle[1] ; il va jusqu’à dire qu’on est « esclave par nature, quand on est inférieur à ses semblables autant que le corps l’est à l’âme, et la brute à l’homme — or, telle est bien, ajoute-t-il, la condition de tous ceux chez qui l’emploi des forces corporelles est le seul et meilleur parti à tirer de leur être[2] ». Le mépris du travail matériel ou servile, puisque ces deux mots sont exactement synonymes, n’a jamais été plus froidement raisonné que chez Aristote.

Est-il possible de ramener tous ces traits épars à une théorie générale qui puisse constituer vraiment une doctrine ?

C’est ce que nous allons discuter.

D’abord, avec les anciens, la science économique, si elle existait, ne serait point une science analytique et descriptive : elle serait tout entière un art ; mais ce serait de considérations rationnelles que cet art serait déduit. Je sais bien qu’Aristote, pour ne parler que de lui, a été un observateur attentif de tout ce qui constituait la politique proprement dite ; je sais même que M. Barthélémy Saint-Hilaire lui a fait gloire d’avoir inauguré la méthode historique[3] : toutefois je ne vois point qu’il ait porté cet esprit dans l’étude des phénomènes économiques. Aussi bien l’absence de toute statistique et le peu d’importance que les historiens anciens ont toujours

  1. « L’utilité des animaux privés et celle des esclaves sont à peu près les mêmes. Les uns comme les autres nous aident, par le secours de leurs forces corporelles, à satisfaire les besoins de l’existence… Et de même que pour les animaux privés c’est un grand avantage, dans l’intérêt même de leur sûreté, d’être soumis à l’homme, de même, pour ceux qui sont naturellement esclaves, l’esclavage est aussi utile que juste » (Politique, 1. I, ch. II, §§ 14-15).
  2. Politique, 1. I, ch. II, § 13.
  3. Barthélémy Saint-Hilaire, Préface à la traduction de la Politique d’Aristote : « C’est la méthode historique qui donne au philosophe la base de son ouvrage, on ne peut pas dire de son système… On peut affirmer sans exagération que l’économie politique, avec ses vraies limites, si ce n’est avec tous ses développements, est déjà dans Aristote ; et c’est sa méthode historique qui la lui a révélée » (Op. cit., 3e édition, Paris, 1874, pp. LXIII et LXV). Non : mais il a fait beaucoup d’emprunts à la méthode inductive, dans son étude des constitutions de l’ancienne Grèce.